Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/634

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Fichte à la Révolution française. C’est dans un livre destiné à défendre la Révolution que Fichte proclame le droit souverain de la force de travail. C’est l’ébranlement révolutionnaire qui a fait éclater, sous les institutions périssables, cette force de travail éternelle. Lorsque Fichte déclare qu’en se retirant d’une forme de propriété où elle s’était engagée d’abord, la force de travail ne doit aucune indemnité, parce que c’est elle qui avait créé d’abord les valeurs que maintenant elle détruit, il proclame que la force de travail est le droit souverain qui n’est comptable qu’avec lui-même. Mais n’est-ce pas la Révolution qui avait aboli sans indemnité toute servitude personnelle ? Je ne sais si Fichte avait entrevu, dès 1793, les linéaments du système d’organisation socialiste qu’il tracera plus tard dans l’État commercial fermé. On dirait parfois, au tour énigmatique de ses paroles, qu’il réserve une partie de sa pensée. Il annonce une transformation nécessaire de tout le système des échanges. Entendait-il seulement par là la liberté entière des échanges et du travail substituée au régime corporatif et féodal ? Pourquoi ne le dit-il pas plus expressément ? Il me paraît probable qu’il était dès lors préoccupé de trouver une règle juridique de ces échanges et qu’il commençait à entrevoir dans la valeur constituée par le travail la mesure du droit économique. Les efforts tâtonnants de la Révolution française pour déterminer les prix ne lui échappaient pas. Et sans doute il songeait à trouver une base de détermination.

« Que celui qui a des yeux pour voir, voie », dit-il un peu mystérieusement, et il nous avertit par là que les conséquences de ses principes vont au delà de ce qu’il a marqué lui-même explicitement. Ce n’est donc pas seulement la résorption de toutes les grandes propriétés par le travail qu’il prévoit. Une fois toutes ces forces de travail en présence, quelle sera la règle de leurs rapports ? Ne sera-ce pas le travail lui-même ?

Ainsi Fichte commençait sans doute à pressentir le système selon lequel l’échange des produits sera réglé par la communauté, sur la base des valeurs intégrées en chaque objet par le travail.

Mais sans doute aussi ces pensées étaient encore très flottantes et très obscures en son esprit à cette date. Je suis porté à croire que la politique du maximum, appliquée en France en 1793 et 1794, précisa en ce sens les idées de Fichte. Cet immense effort de réglementation et d’organisation des prix restait arbitraire, puisque c’est sur les prix de 1790, majorés d’un tiers, qu’étaient construits les prix nouveaux. C’était une base toute empirique et Fichte chercha certainement une base rationnelle. On peut dire que le système de Fichte, c’est le maximum appuyé à une idée, et déterminé selon une règle de raison.

Ainsi l’extraordinaire crise des prix qui en France suscitait les systèmes de Dolivier et de L’Ange, suscitait en Allemagne les pensées de Fichte. Quoi d’étonnant qu’un prodigieux désordre économique ait induit les esprits