Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/645

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Église ; je ne reconnais aucune Église ; que ton Église me prouve son existence dans le monde visible, je ne sais rien d’un monde invisible, et la puissance de ton Église dans celui-ci n’a aucune prise sur moi, car je n’y crois pas. Tu aurais mieux fait de me dire que cette place appartient à l’homme qui est dans la lune, car si je ne connais pas cet homme, je connais du moins la lune ; je ne connais pas ton Église et je ne connais pas non plus le monde invisible où il faut qu’elle soit puissante. Laisse donc cet homme continuer sa vie dans la lune, ou fais-le descendre sur la terre et me démontrer son droit antérieur de propriété sur cette place ; je suis, moi, l’homme de la terre, et je veux à mes risques et périls en assumer la propriété.

« Mais si l’Église, comme Église, se rattache à un ordre invisible, elle a néanmoins, dans le monde visible, des représentants qui prétendent parler en son nom, qui revendiquent en son nom, et qui ont reçu d’elle, comme bénéficiaires, les biens dont elle dispose. Mais ces bénéficiaires, moi je ne les connais pas. Je ne connais que le bien qu’ils occupent, et qui est le mien. S’ils s’imaginent le tenir légitimement d’une Église à l’invisible pouvoir, leur affaire et non la mienne, et je n’ai point à les dédommager d’illusions dont je ne suis pas responsable, de songes que je n’ai point suscités. Tout ce que je leur dois, en les considérant comme des individus réels, dans le monde réel, c’est de les indemniser de la plus-value qu’ils auront donnée à mon bien par leur travail. Cette indemnité ne va nullement à l’Église dont ils se réclament. Libre à eux de la lui remettre, s’il leur plaît. Ce n’est pas comme bénéficiaires ou représentants d’Église que je les indemnise, c’est comme travailleurs et dans la mesure des valeurs que leur travail a créées. »

Ainsi sont réglés par Fichte les droits de l’individu sur les biens d’Église. Mais quels seront les rapports de l’État ? L’État ne peut avoir, selon Fichte, d’autre droit que celui des individus. Si la totalité des individus qui constituent l’État rompent avec l’Église, cessent de croire à elle et revendiquent leurs biens, l’État sera fondé à agir comme ces individus eux-mêmes et il reprendra, comme État, les biens que comme État il avait donnés à l’Église, maintenant inexistante pour lui. Il reprendra, comme État, les bénéfices qu’il a distribués au nom d’une Église qui n’est même plus une ombre pour lui, mais un néant. Il reprendra de même, comme État, les biens revendiqués sur l’Église au nom des individus ; et dont les individus lui feront abandon, et eux pour lesquels ne se présenteront pas des héritiers qualifiés. Mais l’hypothèse d’une rupture unanime des individus composant l’État avec l’Église et avec la foi est chimérique. Il n’y aura jamais qu’une portion des citoyens qui se retirera de tout système de rapports avec l’Église. Mais cette portion ira grandissant et c’est en son nom que l’État exercera sur les biens d’Église une revendication grandissante.

Comme on voit, la solution proposée par Fichte pour le problème des biens d’Église est à la fois plus hardie et plus timide que celle des légistes