Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/646

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révolutionnaires de la France. Elle est plus hardie en ce qu’elle fait de la revendication des biens d’Église l’affirmation suprême de la conscience libérée. Le contrat conclu entre l’Église et les donateurs n’est pas précisément un contrat ; il n’a qu’une valeur subjective. Il ne garde quelque prise sur le donateur ou ses héritiers, que s’ils croient et continuent à croire à l’action efficace de l’Église dans un ordre invisible. Donc, la vraie rupture d’un contrat purement subjectif, c’est l’affirmation de la liberté subjective.

Selon Fichte, l’homme qui dit à l’Église : « Rends-moi le bien que je t’ai donné ou que mes ancêtres t’ont donné », lui signifie par là même : « Je ne crois plus en toi », et c’est dans la profondeur de la conscience que ce contrat illusoire se dénoue, comme il s’y était noué. La reprise de la propriété sur l’Église est donc en même temps une reprise de la pensée libre, et de même que l’aliénation apparente du domaine aux mains de l’Église avait été le signe et l’effet de la servitude de l’esprit abusé, la revendication du domaine est le signe et l’effet de la liberté reconquise par l’esprit éclairé. Et c’est en un drame intime et profond de la conscience et de la pensée, c’est en une sorte de tragédie intérieure que se résout pour Fichte la grande expropriation révolutionnaire des biens d’Église.

Oui, cela est plus profond en un sens et plus audacieux que la simple sécularisation. Sur chaque parcelle de terre laïcisée luit la lumière d’une pensée affranchie. Mais, quand on regarde aux nécessités de l’action, comme cette hardiesse est timide au fond, et paralysante ! Si la France révolutionnaire avait fondé le droit à l’expropriation de l’Église sur l’émancipation individuelle des consciences répudiant la croyance, elle aurait à peine détaché quelques parcelles du domaine ecclésiastique. Elle était encore presque toute catholique, et si pour reprendre aux moines fainéants, aux abbés de cour, aux évêques de boudoir, leurs prébendes, leurs abbayes, leurs bénéfices, il avait fallu que les citoyens rompent avec l’antique foi, et se délient eux-mêmes de tous les liens d’habitude et de crainte qui les rattachaient à un ordre « invisible », moines, évêques et abbés auraient retenu pendant des siècles encore les somptueux palais, les grasses prairies et les dîmes opulentes. Les révolutionnaires s’appliquèrent au contraire à dissocier leur vaste opération politique et sociale du problème de la croyance.

Non, nous ne voulons pas toucher à la foi. Non, nous ne vous demandons pas à l’égard de l’Église qui vous dépouille un aveu d’incrédulité. Même si vous continuez à croire à l’Église comme Église, même si vous avez foi en son origine surnaturelle et en sa vertu surnaturelle, vous avez le droit de n’être pas pressurés et spoliés par ses représentants indignes. Et ce n’est pas comme un abandon, c’est au contraire comme une restitution et comme une épuration de la foi, qu’ils présentaient la nationalisation des biens d’Église. Ce n’est pas en contestant le droit de « l’invisible » et en niant la réalité du contrat, que les légistes de la France ruinaient la propriété ecclésiastique. Ils affirmaient