Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/689

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« De plus, les fermiers, outre le payement du fermage, étaient censés obligés, envers leur propriétaire, à une multitude de services qui étaient rarement ou spécifiés par le bail ou déterminés par quelque règle précise, mais qui l’étaient seulement par l’usage et la coutume du manoir ou de la baronnie. Ces services étant presque entièrement arbitraires, exposaient le fermier à une foule de vexations. En Écosse, le sort de la classe des paysans s’est fort amélioré dans l’espace de quelques années, au moyen de l’abolition de tous les services qui ne seraient pas expressément stipulés par le bail.

« Les services publics auxquels les paysans étaient assujettis n’étaient pas moins arbitraires que ces services privés. Les corvées pour la confection et l’entretien des grandes routes, servitude qui subsiste encore, je crois, partout, avec des degrés d’oppression différents dans les différents pays, n’étaient pas les seuls qu’ils eussent à supporter. Quand les troupes du roi, quand sa maison ou ses officiers venaient à passer dans quelques campagnes, les paysans étaient obligés de les fournir de chevaux, de voitures et de vivres au prix que fixait le pourvoyeur. La Grande-Bretagne est, je crois, la seule monarchie de l’Europe où ce dernier genre d’oppression a été totalement aboli. Il subsiste encore en France et en Allemagne…

« Il n’y avait pas moins d’arbitraire et d’oppression dans les impôts auxquels ils étaient assujettis. Quoique les anciens seigneurs fussent très peu disposés à donner eux-mêmes à leur souverain des aides en argent, ils lui accordaient facilement la faculté de tailler, comme ils l’appelaient, leurs tenanciers, et ils n’avaient pas assez de connaissance pour sentir combien leur revenu personnel devait s’en trouver affecté en définitive. La taille, telle qu’elle subsiste encore en France, peut donner l’idée de cette ancienne manière de tailler. C’est un impôt sur les produits présumés du fermier, qui s’évaluent d’après le capital qu’il a sur sa ferme. L’intérêt de celui-ci est donc de paraître en avoir le moins possible, et par conséquent, d’en employer aussi peu que possible à la culture, et point du tout en améliorations. Si un fermier français peut jamais venir à accumuler un capital, la taille équivaut presque à une prohibition d’en faire jamais emploi sur la terre. De plus, cet impôt réputé déshonorant pour celui qui y est sujet, et il le met au-dessous du rang, non seulement d’un gentilhomme, mais même d’un bourgeois, et tout homme qui afferme les terres d’autrui y devient sujet. Il n’y a pas de gentilhomme ni même de bourgeois possédant un capital qui veuille se soumettre à cette dégradation. Aussi, non seulement cet impôt empêche que le capital qu’on gagne sur la terre ne soit jamais employé à la bonifier, mais même il détourne de cet emploi tout autre capital. Les anciennes dîmes et quinzièmes si fort en usage autrefois en Angleterre, en tant qu’elles portaient sur la terre, étaient, à ce qu’il semble, des impôts de la même nature que la taille. »

Ainsi donc, encore une fois encore, (et tous ces passages d’Adam Smith le dé-