Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/69

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listes les plus actifs de la Gironde ; c’était le nom de Brissot, qui passait pour le chef du parti girondin. Et quand après avoir nommé ces hommes ou en les nommant, Robespierre accusait « un parti puissant » c’est toute la Gironde qu’il accusait. N’eût-il accusé que Carra et Brissot, c’était vraiment chose grave en ces heures tragiques où les paroles pouvaient tuer.

Sur ce point Robespierre ne peut se défendre. « On a osé, dira-t-il le 3 novembre, par un rapprochement atroce, insinuer que j’avais voulu compromettre la sûreté de quelques députés en les dénonçant à la Commune durant les exécutions des conspirateurs. J’ai déjà répondu à cette calomnie en rappelant que j’avais cessé d’aller à la Commune avant ces événements, qu’il ne m’était pas plus donné de prévoir que les circonstances subites et extraordinaires qui les ont amenés. Faut-il vous dire que plusieurs de mes collègues avant moi avaient déjà dénoncé la persécution tramée contre la Commune par les deux ou trois personnes dont on parle, et ce plan de calomnier les défenseurs de la liberté, et de diviser les citoyens, au moment où il fallait réunir ses efforts pour étouffer les conspirations du dedans et repousser les ennemis étrangers ? Quelle est donc cette affreuse doctrine que dénoncer un homme et le tuer c’est la même chose ? Dans quelle République vivons-nous si le magistrat qui, dans une assemblée municipale s’explique librement sur les auteurs d’une trame dangereuse n’est plus regardé que comme un provocateur au meurtre ? »

Le sophisme éclate : ce n’est pas à toute heure, mais c’est dans la nuit du 2 au 3 septembre qu’une accusation pareille de trahison est une provocation au meurtre. Je ne recherche pas si Robespierre était aussi absent de la Commune, en cette période, qu’il le prétend. Il y a parlé longuement le 1er septembre. Il y parle encore le 2. Et lorsque, dans sa section de la place Vendôme, il présidait les assemblées électorales pour le choix des députés à la Convention, il était impossible qu’il ne fût pas tenu au courant de ce qui se passait à la Commune. Aussi bien, il savait à quel degré la Commune haïssait Brissot et toute la Gironde.

C’est presque au nom de la Gironde que la section des Lombards avait demandé la dissolution de la Commune, et des rancunes implacables étaient restées dans les cœurs. Or, lorsqu’à ces hommes Robespierre vient, avec son autorité, affirmer que la Gironde est du parti de Brunswick, qu’elle veut élever sur le trône de France celui-là même qui a signé contre la France révolutionnaire et Paris un manifeste d’extermination, il a, quoi qu’il puisse dire, aiguisé les poignards. Quoi ! le peuple massacre les prisonniers pour ne pas laisser les traîtres vivants derrière lui. Et il épargnerait les traîtres des traîtres, ceux qui, sous le nom usurpé et profané de patriotes, veulent livrer la France au général prussien et aggraver la servitude rétablie par la honte de la défaite ! Non, non : ils doivent aussi être frappés. Que la sinistre légende à laquelle Robespierre donne force et crédit se répande du Conseil