Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/706

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plus grand secret jusqu’au moment de l’exécution, et quand les ouvriers cèdent, comme ils font quelquefois, sans résistance, quoiqu’ils sentent bien le coup et le sentent fort durement, personne n’en entend parler. Souvent cependant, les ouvriers opposent à ces coalitions particulières une ligue défensive ; quelquefois aussi, sans aucune provocation de cette espèce, ils se coalisent de leur propre mouvement pour élever le prix du travail. Leurs prétextes ordinaires sont tantôt le haut prix des denrées, tantôt le gros profit que font les maîtres sur leur travail. Mais que leurs ligues soient offensives ou défensives, elles sont toujours accompagnées d’une grande rumeur. Dans le dessein d’amener l’affaire à une prompte décision, ils ont toujours recours aux clameurs les plus emportées, et quelquefois ils se portent à la violence et aux derniers excès. Ils sont désespérés et agissent avec l’extravagance et la fureur de gens au désespoir, réduits à l’alternative de mourir de faim ou d’arracher à leurs maîtres, par la terreur, la plus prompte condescendance à leurs demandes. Dans ces occasions, les maîtres ne crient pas moins fort de leur côté ; ils ne cessent de réclamer de toutes leurs forces l’autorité des magistrats civils, et l’exécution la plus rigoureuse des lois si sévères portées contre les ligues des ouvriers domestiques et journaliers. En conséquence, il est rare que les ouvriers tirent aucun fruit de ces tentatives violentes et tumultueuses, qui, tant par l’intervention du magistrat civil que par la constance mieux soutenue des maîtres, n’aboutissent en général à rien autre chose qu’au châtiment ou à la ruine des chefs de l’émeute. »

On est donc tenté de penser qu’au moment où éclate la Révolution française, et où la classe ouvrière de France commence à jouer un grand rôle politique, les ouvriers anglais vont demander au moins le droit de coalition. Il n’en est rien, ou tout au moins, je ne trouve aucune trace d’une revendication d’ensemble. Chose curieuse ! même en 1795, même quand le député au Parlement, Withbread, pour remédier à l’extrême détresse des ouvriers anglais, propose de fixer par la loi un minimum de salaire, personne à la Chambre des Communes et dans le pays ne suggère l’idée que c’est en accordant aux ouvriers le droit de se coaliser qu’on relèvera leurs salaires. Aujourd’hui, il nous paraît beaucoup plus hardi de déterminer par la loi un minimum de salaire que de reconnaître aux ouvriers le droit de coalition et de grève.

Le point de vue des esprits les plus libres de l’Angleterre, à la fin du xviiie siècle, était tout autre. La loi était déjà intervenue dans la détermination des salaires ; il est vrai que c’était, comme dans le fameux statut d’Élisabeth, pour en fixer le maximum, et la fixation d’un minimum était une vraie révolution sociale, mais il y avait des précédents juridiques. Au contraire, proclamer la liberté de coalition, c’était, dans la pensée des hommes de ce temps, légaliser l’émeute. Fox (voir Hansard, The parliamentary History of England, volume 32) recommande bien l’association pour relever