Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/715

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semble de tolérance et d’arbitraire, qui règle le droit de coalition. Mais à mesure que le régime capitaliste se développe, que le système des manufactures s’étend et que le Parlement renonce à intervenir par la loi dans la fixation des salaires, la question du droit de coalition se précise. Et la crise de la Révolution française, en communiquant peu à peu au prolétariat anglais un frémissement de démocratie, donnera au problème une acuité imprévue. Mais la classe ouvrière n’est pas en 1789 tendue vers cet objet, et ce n’est point là un ressort de révolution.

Le prolétariat anglais n’est pas soulevé non plus par une révolte d’extrême misère. Sans doute il y avait, surtout chez les prolétaires ruraux, d’effroyables souffrances. Mais dans l’ensemble, les ouvriers anglais avaient bénéficié de l’essor de l’industrie anglaise.

Marx a écrit : « Pendant la période manufacturière proprement dite, le mode de production capitaliste avait assez grandi pour rendre la réglementation légale du salaire aussi impraticable que superflue. »

Et ainsi les lois restrictives du salaire, celles qui lui imposaient un maximum, tombaient peu à peu ou demeuraient inefficaces. Mais ce que Marx, dans le sombre tableau qu’il trace de cette période de l’histoire du prolétariat anglais, n’ajoute pas, c’est que, en fait, la hausse des salaires, au cours du xviiie siècle, avait été grande. J’ai déjà cité le texte de Forster constatant que le salaire des ouvriers anglais en 1790 est deux ou trois fois supérieur à celui de l’ouvrier allemand. Mais il suffit d’ouvrir Adam Smith pour y saisir ce progrès des salaires. Adam Smith a une sorte d’ingénuité scientifique : il observe les phénomènes sociaux sans aucun parti pris de classe. Nous avons vu tout à l’heure avec quelle impartialité il notait le dommage causé aux ouvriers par les lois sur les coalitions. Il trouve injuste que les ouvriers ne puissent se coaliser tandis que la coalition des patrons est permanente. Il est si peu enclin à l’optimisme au sujet de la condition des ouvriers, que c’est dans son œuvre que Lassalle a cru trouver la première formule de la loi d’airain. Et Smith note, sans précaution aucune, que c’est par un prélèvement sur le travail qu’est constitué le profit des capitalistes. Il commence son fameux chapitre : Des salaires du travail, par ces mots :

« Ce qui constitue la récompense naturelle ou le salaire du travail, c’est le produit du travail. Dans cet état primitif qui précède l’appropriation des terres et l’accumulation des capitaux, le produit entier du travail appartient à l’ouvrier. Il n’a ni propriétaire ni maître avec qui il doive partager. Si cet état eût continué, le salaire du travail aurait augmenté avec tout cet accroissement de la puissance productive du travail. Toutes les choses seraient devenues par degré de moins en moins chères. Elles auraient été produites par de moindres quantités de travail, et elles auraient été pareillement achetées avec le produit de moindres quantités, puisque, dans cet état des choses, des