Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/75

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vagance, qu’on pourrait croire que ce n’est qu’un jeu pour nous forcer à changer de dynastie. »

Carra, visiblement, s’embrouille ; car, au profit de qui, Brunswick, maintenant détesté de la France révolutionnaire, machinerait-il ce changement de dynastie ? Puis, le 6 août, c’est un nouveau système. « Nous avons aussi de fortes raisons de croire que Louis XVI soudoie l’armée prussienne qui marche contre nous, et que c’était une des conditions de la cour de Berlin pour se déterminer à faire avancer ses troupes. Dans peu, on découvrira bien de nouvelles horreurs dont on n’avait pas encore d’idée, et je frémis d’avance lorsqu’on demandera les comptes des caisses nationales et qu’on regardera au fond de nos caisses. »

C’est signé Carra.

La girouette diplomatico-révolutionnaire a tourné. Voilà maintenant Brunswick stipendié de Louis XVI. Jamais parti ne fut plus fertile que la Gironde en propos inconsidérés et compromettants, mais ici l’incohérence est criante et elle aurait vraiment dû désarmer le soupçon. Voici encore, dans le numéro du 13 août des Annales patriotiques, sous la rubrique Allemagne, une note qui achève d’enlever toute excuse à Robespierre. « Le duc de Brunswick, outre son manifeste et son supplément, vient de faire publier les mesures que les cabinets contre-révolutionnaires ont prises pour remettre la France sous l’ancien joug. Il regarde d’abord comme une chose facile la conquête de toute la France, et il conclut sa résolution romanesque par le projet de laisser en France pour garnison perpétuelle six régiments autrichiens, six prussiens, deux piémontais, trois espagnols et quelques escouades qu’on demandera aux Électeurs. Toutes ces dispositions dictées par un somnambulisme aristocratique, montrent, malgré leur ridicule, que les ennemis extérieurs de la France comptent beaucoup sur les traîtres du dedans. Français, veillez autour de vous, frappez les perfides qui sont au sein de la France ; quand vous aurez purgé votre sol, annoncez à l’univers que vous voulez être libres, et les tyrans disparaîtront, ainsi que leurs esclaves. » C’est une étrange préparation à l’avènement royal de Brunswick.

Le lundi, 20 août, Carra demande que les troupes de ligne soient transformées en garde nationale et que les soldats nomment tous leurs officiers jusqu’au colonel inclusivement : « Cette mesure, dit-il, qui d’ailleurs est de toute justice et dans le vrai sens de l’égalité politique, produira l’effet le plus heureux dans nos armées et le plus terrible dans les armées des tyrans coalisés : ce sera un coup de foudre qui, en frappant tous les troupes de l’Europe, fera pâlir et reculer jusqu’à Berlin le fameux rodomont Brunswick. » Carra exagère ; mais comment Robespierre a-t-il pu prendre prétexte d’un propos obscur et vain tenu jadis par cet écervelé et démenti par tant de propos contraires, pour risquer, au soir violent et sanglant du 2 septembre, une formidable accusation ?