Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/792

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votre seule autorité, de supprimer ces livres, d’ériger tout homme, non seulement en inquisiteur, mais en juge, en espion, en policier — d’animer le père contre le fils, le frère contre le frère, le voisin contre le voisin, et c’est par de tels moyens que vous croyez maintenir la paix et la tranquillité du pays ?

« Vous vous êtes appuyés, dans tous vos actes, sur les principes de l’esclavage. Vous négligez, dans votre conduite, le fondement de tout gouvernement légitime, les droits du peuple : et en exhibant cet épouvantail, vous semez la panique pour sanctifier votre violation des lois, et cette violation des lois engendre les maux que vous redoutez. Un extrême conduit naturellement à l’autre. Ceux qui craignent le républicanisme se réfugient à l’abri de la couronne. Ceux qui désirent une réforme et qui sont calomniés sont jetés de désespoir dans le républicanisme. Et c’est là le mal que vous craignez.

« C’est aux extrêmes que le peuple est précipité par les agitations ; et il y a une diminution graduelle de ce parti moyen (gradual decrease of that middle order of men) qui redoute autant le républicanisme que le despotisme. Ce parti moyen, qui avait conservé à ce pays tout ce qu’il y a de précieux dans la vie, tous les jours, je suis désolé de le dire, il décroît ; mais, permettez-moi d’ajouter que tant que ma faible voix pourra se faire entendre, ce parti ne sera pas complètement éteint ; il restera toujours un homme qui, entre les extrêmes, maintiendra le point central. Je suis outragé d’un côté : je puis être attaqué de l’autre ; je puis être flétri à la fois et comme un boute-feu et comme un tiède politicien ; mais, quoique j’aime la popularité, et quoique rien ne me soit aussi précieux, hors de ma propre conscience, que la bonne opinion et la confiance de mes concitoyens, aucune tentation ne m’amènera à me joindre à l’association (contre-révolutionnaire) qui a pour objet un changement dans la base même de notre Constitution. »

Mais d’où vient qu’en cette fin de 1792 tous les ressorts soient à ce point tendus en Angleterre ? D’où vient que cette même nation anglaise, qui en 1790 et 1791, semblait éprouver pour la Révolution de France quelque sympathie ou du moins quelque curiosité bienveillante, soit aussi animée contre elle maintenant, et dans toutes ses classes ? Comment Fox et ses amis libéraux, malgré leur prudence, malgré les réserves qu’ils multiplient, sont-ils submergés par l’esprit public et dénoncés, presque aussi violemment que Thomas Paine, par des associations conservatrices forcenées ?

J’en vois deux raisons principales. D’abord l’accélération du mouvement révolutionnaire en France avait son contre-coup en Angleterre.

Le régime du peuple français n’était plus une démocratie mitigée, tempérée de monarchie. C’était la démocratie pure, et une démocratie foudroyante. Le peuple était vainqueur de la royauté, et il tenait le roi dans ses mains. De plus, cette foule, qui le 10 août avait vaincu le roi, avait, le