Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/800

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Bien mieux, au moment où la France semble près de se débarrasser par la victoire du fardeau de la Révolution, elle passe ce fardeau aux autres peuples ; elle le rejette sur l’Angleterre même qui voit son calme intérieur troublé, sa Constitution menacée, et qui, si elle ne se défend pas à temps, si elle n’écrase pas les germes de révolution que les souffles orageux de France disséminent sur son sol, sera absorbée longtemps, au grand détriment de son industrie et de son commerce, par une crise politique et sociale que la France semble précisément surmonter.

Le péril était d’autant plus grand que la France ne se bornait point à agir par l’exemple, par la pure propagande des idées. Par son décret du 19 novembre, par son décret du 15 décembre, elle promettait son appui aux peuples qui se soulèveraient contre leur Constitution. Elle exaltait ainsi la Révolution universelle.

Était-il possible encore, en cette fin de 1792, de rapprocher la France et l’Angleterre ? Il aurait fallu trouver une sorte de compromis. Il aurait fallu que le Gouvernement anglais rendît, pour ainsi dire, inoffensive la propagande révolutionnaire de la France, en prenant lui-même l’initiative d’une réforme démocratique du système politique de l’Angleterre. Et il aurait fallu que la France, renonçant à toute provocation révolutionnaire, à toute jactance et à toute intervention au dehors, donnât à l’Angleterre l’assurance que si ses justes intérêts en Europe et les traités qui les garantissaient ne seraient point menacés.

Sans doute l’ouverture de l’Escaut à la libre navigation ne blessait en rien les intérêts anglais immédiats ; mais elle témoignait de la facilité avec laquelle la France révolutionnaire substituait le droit international nouveau, fondé et interprété par elle, au droit positif des traités. Que des garanties fussent données à l’Angleterre contre l’entraînement des prétentions françaises et que l’Angleterre cessât de craindre, pour son régime intérieur, l’inévitable propagande de la Révolution en faisant une juste part à l’esprit de réforme et de démocratie, à ces conditions la paix pouvait encore être maintenue.

C’est dans cet esprit que luttait Fox, mais presque sans espoir, car la fureur des passions soulevées chez les deux peuples rendait presque impossible toute négociation sérieuse et sensée. C’est en vain que Fox, avec le plus noble courage, tentait de frayer cette voie moyenne. C’est en vain qu’il glorifiait les conquêtes de la liberté en France, et désavouait les excès de la propagande. C’est en vain aussi qu’il tentait de ramener à de modestes proportions la question de l’Escaut.

Ses paroles irritaient, au lieu de l’apaiser, l’orgueil national tous les jours plus ombrageux. Il s’écriait, le 13 décembre 1792, dans le débat sur l’adresse : « L’honorable gentleman qui a soutenu la motion a jugé convenable de dire, comme preuve qu’il existe un esprit dangereux dans ce pays, que cet esprit