Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/814

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ture de l’Escaut,mais l’indifférence qu’a montrée le peuple anglais à ce sujet, lui a fait voir que ce peuple ne craignait plus les Français comme rivaux, et applaudissait même à un acte de justice. »

Quelle illusion !

« Le cabinet est divisé en deux partis ; lord Hawkesbury, à la tête de l’un, et royaliste outré, veut la guerre ; Pitt s’y oppose, et croit que le jeu de l’Angleterre est la neutralité : il est à craindre que le premier parti ne l’emporte. C’était la force de ce parti qui avait décidé Pitt à se jeter dans les bras de Portland et de Fox, mais la négociation est totalement rompue, et l’opposition se prépare à rompre des lances vigoureuses ; elle doit blâmer le ministère de n’avoir pas reconnu la République française, elle doit s’élever contre la guerre avec la France, et solliciter un bon système de réforme pour l’intérieur. L’opposition et la nation entière sont contre la guerre, et le ministère en sera pour ses préparatifs, si même il n’en paie personnellement les frais. »

Mais quel crime alors de ne pas donner au parti de la paix, par la conduite la plus mesurée et la plus prudente, la force de résister au parti de la guerre ! Or, comment se termine une correspondance accueillie par Brissot, dans le numéro du 6 décembre ? Après avoir démontré que Pitt veut la paix et les avantages de tout ordre qu’il y trouve, économiques et politiques, elle conclut :

« Vous le verrez proposer lui-même la réforme de la représentation parlementaire. Par tous ces moyens, il espère se garantir du progrès de la maladie française. Mais ici le mal est non seulement dans l’abus, mais dans la réforme de l’abus. Quand une fois on commence, on ne sait plus où la réforme s’arrête. Pitt ne calcule pas mieux quand il croit arrêter le goût de l’innovation par des peines portées contre les prédicateurs d’idées séditieuses. Ces prédicateurs accéléreront la révolution infailliblement. Il n’y a pas d’apparence que le cabinet de Saint-James veuille rompre avec vous pour l’ouverture de l’Escaut. Peut-être serait-il obligé de le faire, si la France attaquait la Hollande. Cependant, comme les risques de ce cabinet sont toujours les mêmes, dans ce cas, vous pouvez toujours aller de l’avant ; votre jeu est de pousser votre fortune à l’extrême, et de faire voyager le drapeau tricolore à Saint-Pétersbourg si vous le pouvez. »

Ainsi, sous prétexte que, en toute hypothèse, les embarras intérieurs du ministère anglais resteront les mêmes, et que les risques de révolution lui rendent difficile en tous cas de déclarer et de soutenir la guerre, il faut que la France renonce à tout ménagement, envahisse la Hollande, même si c’est là un casus belli avec l’Angleterre. Pousser sa fortune à l’extrême, voilà les conseils donnés à la France à cette heure vraiment tragique, où elle doit au contraire se garder de toute ivresse, limiter et surveiller ses propres efforts sous peine de sombrer dans le despotisme militaire. Et Brissot fait accueil à