Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/838

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système électoral, mais de l’ensemble des lois, y compris les lois dites civiles qui assurent à une classe le monopole de la propriété et de la puissance.

À propos des abus du système présent, par exemple à propos des trop larges pensions et émoluments que le gouvernement distribue aux fonctionnaires de tous ordres, c’est jusqu’au fond de l’iniquité sociale que va Godwin ; c’est la racine de toute richesse, le travail surmené et exploité qu’il met à nu.

« Ces pensions et traitements sont pris sur le revenu public, sur les taxes imposées à la communauté. Peut-être n’a-t-on considéré que rarement la nature de l’impôt. Quelques personnes ont supposé que le superflu de la communauté pouvait être recueilli et mis à la disposition du pouvoir représentatif ou exécutif. Mais c’est une grosse erreur. Les superfluités du riche sont pour la plus grande part inaccessibles à la taxation : Toute richesse, dans la société civilisée, est le produit de l’humaine industrie. Être riche, c’est essentiellement posséder une patente qui autorise un homme à disposer du produit de l’industrie d’un autre homme. La taxation par suite ne peut tomber sur le riche qu’en tant qu’elle a pour effet de diminuer son luxe. Mais cela ne se produit que dans un très petit nombre de cas et à un degré très faible. Son véritable effet est d’imposer un surcroît de travail à ceux que le travail a déjà plongés profondément dans l’ignorance, la dégradation et la misère. La partie dominante et gouvernante de la communauté est comme le lion qui chasse avec les animaux plus faibles. Le propriétaire du sol prend d’abord une part disproportionnée du produit, le capitaliste suit et se montre également vorace. Et pourtant on pourrait se passer de ces deux classes sous la forme où elles apparaissent aujourd’hui, avec un autre mode de société. La taxation vient enfin et impose un nouveau fardeau à ceux qui sont déjà courbés jusqu’à terre. Quel est celui qui, appelé à choisir et ayant vraiment un esprit d’homme acceptera de recevoir de l’État, comme salaire le morceau péniblement gagné qui, par l’impôt, a été arraché à la main du paysan ? »

Le capitaliste dont parle ici Godwin, c’est évidemment le grand fermier : c’est surtout sous la forme de la propriété terrienne et du capitalisme terrien que l’aristocratie des richesses lui apparaît : et par là il se rattache bien à une époque où malgré les progrès rapides de l’industrie et des manufactures, c’est encore la propriété terrienne qui apparaît, politiquement et économiquement, dominante. Mais Godwin connaît aussi le nouveau développement industriel et dans son plan de la société future il fait entrer un merveilleux progrès du machinisme.

Ce qui est tout à fait remarquable dans Godwin, c’est qu’on trouve réunies en lui les spéculations purement philosophiques et morales d’un Mably, les préoccupations pratiques d’un réformateur animé par l’exemple de la Révolution française, et les larges vues d’avenir, les grandes espérances