Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/845

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l’innocence première attardé au couchant, est pour Godwin une promesse d’avenir, une lueur d’aurore qui commence à percer à l’orient. Et après avoir affirmé le droit égal de tous les hommes, après avoir analysé les formes diverses de propriété qui s’adaptent à ce droit ou qui le nient, après avoir dénoncé comme la plus odieuse exploitation de la masse par une minorité audacieuse ou rusée, cette forme de la propriété qui permet à un homme de s’approprier les produits du travail d’un autre homme, il se demande comment cet ordre inique pourra disparaître, comment l’égalité sociale et la justice pourront se réaliser. Ce n’est pas comme un souvenir utopique du passé qu’il caresse du regard : c’est un programme d’avenir qu’il cherche, dès maintenant, à appliquer. Et comment aurait-il pu se jouer en des rêves futiles, comment aurait-il pu séparer la pensée de l’action et faire de l’idéal je ne sais quel pâle fantôme des premiers temps de l’humanité, à l’heure même où dans la Révolution française et par elle l’homme espérait, agissait, créait ?

La Révolution, à sa fournaise ardente, refondait la société humaine, elle refondait presque l’esprit humain. Comment Godwin n’eût-il pas songé à proposer, si je puis dire, à tout ce métal en fusion, le moule d’égalité et de justice que, longuement et en silence, son esprit avait construit ? C’est pour cela qu’il se hâte d’écrire son livre : c’est pour cela qu’il l’adresse à la Convention.

Oh ! certes, nous le savons déjà, ce n’est pas de la violence, ce n’est pas de la brutalité révolutionnaire qu’il attend la réalisation de ses idées : c’est seulement d’une transformation des esprits et des mœurs. Tant que cette rénovation intellectuelle et morale ne sera pas accomplie, la propriété doit être respectée.

« Il n’y aurait que misère et absurdité dans un système qui permettrait à tout homme de se saisir de ce qu’il désire. Si, par une institution positive, la propriété était égalisée, sans un changement contemporain dans les dispositions et les sentiments des hommes, elle redeviendrait inégale le lendemain. Les mêmes maux croîtraient de nouveau rapidement, et nous n’aurions rien gagné à une tentative qui, en violant les habitudes et les inclinations de plusieurs hommes, en aurait rendu misérables des milliers. Ce serait un régime de contrainte et de perpétuel châtiment, si le gouvernement devait prendre en main la gestion du tout et distribuer à chacun le pain quotidien. Il est permis de supposer que des lois agraires ou d’autres du même genre, qui ont été imaginées pour abattre l’esprit d’accumulation, méritent d’être regardées comme des remèdes plus pernicieux que le mal qu’elles sont destinées à guérir. »

Il ne faut, dans la distribution de la richesse, aucune contrainte, ou individuelle, ou collective. Les hommes viendront d’eux-mêmes à « estimer la richesse à sa vraie valeur, et à regarder l’accumulation et le monopole comme