Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/854

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les heures réservées au sommeil, à la récréation et aux repas, nous aurons calculé largement. Il suit de là qu’une demi-heure par jour, employée au travail manuel par chaque membre de la communauté, suffirait à procurer tout le nécessaire. Qui songerait donc à se soustraire à un travail aussi limité ? »

Perspective lointaine ? dira-t-on peut-être, quoique le progrès de l’esprit aille s’accélérant toujours, quoique « la pensée suscite indéfiniment la pensée ». Mais, en tout cas, perspective certaine. Et, ici encore, c’est dans la ligne prolongée du mouvement politique et social constaté par lui que Godwin situe sa société idéale : elle sera le terme d’une évolution dont le sens est déjà manifeste. On a pu le voir par ce qu’il dit des suites féodales. Mais, surtout, c’est la ferveur de l’espérance républicaine qui lui permet de présager la ferveur plus grande de l’espérance sociale. Si la superficielle égalité politique provoque dans le monde une si prodigieuse attente et un si prodigieux enthousiasme, que sera-ce de la grande et profonde égalité humaine ?

« On a constaté, dit Godwin, que l’avènement d’un gouvernement républicain est accompagné d’un enthousiasme public et d’un irrésistible élan. Faut-il croire que l’égalité, qui est le vrai républicanisme, sera moins efficace ? Il est vrai que dans une république cet esprit, tôt ou tard, devient languissant. Le républicanisme n’est pas un remède qui aille à la racine du mal. L’injustice, l’oppression et la misère peuvent trouver place encore dans les demeures où il semble que réside le bonheur. Mais qu’est-ce qui peut limiter le progrès de la ferveur et la perfection de l’esprit, là où le monopole de la propriété est inconnu ? »

Ainsi, la pensée de Godwin utilise tout ensemble et domine les événements. Cette ferveur d’espérance républicaine et d’enthousiasme républicain, c’est le souffle chaud de la Révolution française. Godwin écrivait les derniers chapitres de son livre, ceux dont je viens de citer des extraits, juste à l’heure où la Convention proclamait la République : et la grande émotion humaine qui a saisi les multitudes est interprétée par lui comme un signe des prodigieuses facultés de renouvellement et d’espérance généreuse que contient le cœur de l’homme. Mais, en même temps qu’il respire cette âme ardente de la Révolution et de la République, il dit à la Révolution : « Tu n’es qu’une première figure, bien pauvre encore et étriquée, de la liberté et de la joie. » Il dit à la République : « Tu n’es qu’une apparence de République, puisque tu respectes encore cette aristocratie fondamentale qui réside dans le privilège de propriété. C’est dans l’égalité sociale seulement que tu trouveras l’accomplissement de les tendances, la réalisation de tes idées, la plénitude de ton être. »

Ainsi il se fait, pour ainsi dire, porter par l’histoire, sans la détourner de sa route, mais en l’avertissant de hausser le front vers des buts plus