Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/86

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bles et justes, c’est à vous que j’en appelle, contre ces hommes de glace qui verraient périr le genre humain sans s’émouvoir, sans sortir des gonds ; les transports de fureur que vous éprouvez à la vue d’une nation entière entraînée dans l’abîme par une poignée de scélérats est mon apologie. Et le salut public qu’ont toujours assuré ces expéditions populaires sera la seule réponse que j’opposerai à la calomnie. »

Mais le retour tout naturel de Marat à son système implacable n’ôte rien de leur valeur étrange aux regrets deux fois exprimés des « désastreux événements du 2 et du 3 ». Il n’y a pas là seulement, pour l’orgueilleux théoricien une rechute dans l’inférieure sensibilité humaine. Il y a aussi un regret politique. Au fond, si je ne me trompe, Marat est désolé que les massacres aient compromis la Commune révolutionnaire où il dominait. La force révolutionnaire du 10 août s’était à demi épuisée, mais la crise de la patrie avait suscité la Commune pour un nouvel élan. Avec plus de prudence peut-être, et plus de calculs d’humanité, elle pouvait devenir la directrice du mouvement national, la maîtresse de Paris. Du coup, et sans effusion de sang, la Gironde était morte, et sous les conseils souverains de Marat, la France libérée de l’ennemi étranger et de l’ennemi intérieur entrait dans la gloire, la liberté et la paix. Déplorables boucheries, qui ont ému les âmes faibles et déchaîné contre la Commune des révoltes de pitié grossière ! Elles ont arrêté le développement du plan où la pensée de Marat se rencontrait avec celle de Robespierre. Évidemment, en octobre, Marat se reproche comme une maladresse ces massacres qui ont fourni à la Gironde et aux âmes sottement sensibles tant de spécieuses déclamations. Voilà donc et de l’aveu du principal « septembriseur » un premier obstacle où les ambitions politiques de la Commune se sont brisées.

Et en second lieu, il est certain que toute la France a été mise rapidement en défiance contre la prétention de la Commune parisienne à représenter la nation. Sur ce point, la susceptibilité des Montagnards, surtout des démocrates du Midi comme Cambon, a été au moins égale à celle de la Gironde. Enfin et comme conséquence, une ombre de dictature a soudain effarouché les esprits. Si la Commune est souveraine de Paris, et si Paris est souverain de la France, les hommes qui dominent à la Commune domineront par elle Paris et la France. Or l’influence de Danton, de Robespierre, de Marat sur la Commune est immense. Unis, ces trois hommes manieraient donc à leur gré le grand ressort du pouvoir. C’est la dictature du « triumvirat » qui s’annonce.

L’Assemblée législative comprit très vite qu’en faisant appel à l’instinct d’humanité, au besoin de sécurité, aux défiances provinciales et à la haine de la dictature, elle pourrait prendre sa revanche sur la Commune, ressaisir le pouvoir, et assurer à la Convention prochaine une large autorité nationale où l’espérance de tous les partis révolutionnaires aurait une place.