Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/96

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qu’au bord d’héroïsme, de souffrance et de haine. Les hommes sont forts et ils feront leur œuvre. Mais ils la feront en se déchirant, en se détestant, en se tuant les uns les autres. Que le destin et notre sagesse préservent le prolétariat de ces formes violentes de la Révolution ! En toutes ces têtes qui vont tomber par une mutuelle proscription s’ébauche déjà, aux jours de septembre 1792, l’image monstrueusement fausse des amis d’hier, rivaux d’aujourd’hui, meurtriers de demain.

Visiblement, dès le 4 septembre, la Commune révolutionnaire et son Comité de surveillance ont perdu la partie. Ils ne peuvent plus subordonner l’Assemblée, étendre à la France la terreur septembriste, et écraser en leur germe même les candidatures girondines. Le Conseil de la Commune, sans formuler pourtant un désaveu, se sépare de son Comité de surveillance. D’abord il tente d’arrêter les massacres. Dans la séance du 3 septembre au soir « la section du Pont-Neuf vient demander à la Commune qu’il soit nommé des commissaires à l’effet de suspendre la vengeance du peuple qui veut immoler M. Richard, concierge des prisons de la Conciergerie ». La Commune « arrête qu’il sera fait une proclamation sur la nécessité de remettre, à la loi législative la punition des coupables ». Surtout la Commune s’incline décidément devant les décrets de l’Assemblée : « Un secrétaire donne lecture (toujours le 3 septembre au soir) du décret de l’Assemblée nationale rendu hier sur l’organisation du Conseil général, qui ordonne que ledit Conseil sera composé de deux cent quatre-vingt-huit membres, non compris les officiers municipaux, le maire, le procureur de la Commune et ses substituts. » Aucune protestation ne s’élève. « Le Conseil entend la lecture du décret qui porte que le Conseil général et la municipalité rendront compte de l’état de Paris sur-le-champ. Le Conseil nomme des commissaires à cet effet. » C’était donc la déférence complète aux décisions de l’Assemblée. Enfin, avant de se séparer « le Conseil général, vivement alarmé et touché des moyens de rigueur que l’on emploie contre les prisonniers, nomme des commissaires pour calmer l’effervescence et ramener aux principes ceux qui pourraient être égarés ; il est arrêté de plus qu’ils seront accompagnés de deux gendarmes à cheval et qu’ils pourront requérir la force armée. »

C’est un accent ému et net. Pétion, qui avait vécu depuis le Dix Août dans un état de dépendance et qui accompagnait les délégations de la Commune à l’Assemblée comme une ombre muette et triste, reprend autorité et voix. C’est lui qui tous les jours, ou personnellement, ou par lettres, informe l’Assemblée de l’état des choses, lui donne l’assurance que le calme rentre dans les esprits, que tous les cœurs se tournent contre l’ennemi commun, contre l’étranger. Et, on sent que Pétion s’épanouit de nouveau en ce rôle, comme une plante longtemps tenue à l’ombre s’ouvre au soleil. Il y a dans sa vanité satisfaite un perpétuel attendrissement.

Le 4, le 5 et le 6, la Commune, avec plus de bon vouloir que d’énergie,