Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/107

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prévaloir cette décision a préparé des maux incalculables pour la France… Je vois dans la sentence de mort le signal d’une guerre terrible, guerre qui coûtera prodigieusement de sang et de trésors à ma patrie, et ce n’est pas légèrement que j’avance ce fait ; non pas que la France ait à redouter les tyrans et leurs satellites, mais les nations, égarées par des calomnies sur le jugement de la Convention, se joindront à eux. »

Évidemment, il était alors en correspondance directe et constante avec Fox et ses amis. Ce serait un grand trésor pour l’histoire si on retrouvait des traces de cette correspondance. Lord Lansdowne, à la Chambre des Lords, parla de Brissot, en ces jours tragiques, comme d’un homme très capable et très honnête, dont il s’honorait d’être l’ami.

Je trouve dans un article un peu postérieur de la Chronique de Paris (5 février), signé de Condorcet et de Delaunay d’Angers, la trace des espérances que bien des révolutionnaires français avaient mises un moment dans l’Angleterre :

« Il n’est pas inutile d’observer que si quelqu’un a contribué volontairement et par un système suivi de perfidie politique à la mort de Louis, c’est ce même George qui fait semblant de le pleurer. Car celui qui pouvait séparer la Prusse de l’Autriche, exiger le dispersement des émigrés et empêcher la guerre ; celui qui pouvait, en reconnaissant la République française, en lui procurant à la fin de septembre une paix honorable et libre, lui donner la liberté de pouvoir, sans danger, n’écouter que sa clémence et qui ne l’a pas fait, n’a certainement regardé la chute et la mort de Louis que comme un événement favorable à ses desseins. »

Ce que, en janvier, quelques Conventionnels optimistes n’espéraient plus du roi d’Angleterre, ils s’obstinaient à l’espérer encore d’un retour de l’opinion anglaise, et c’est pour ménager ce retour qu’ils demandaient à la Révolution de « n’écouter que sa clémence ».

Évidemment, le groupe des opposants anglais avait supplié Brissot de lutter jusqu’au bout pour prévenir la condamnation à mort du roi. À ce prix, ils espéraient encore pouvoir empêcher la déclaration de guerre, et c’est sur ces assurances que Brissot luttait obstinément, non sans probité d’esprit et sans courage. Il ne se rallia pas à l’amendement de Mailhe dont il se peut que les origines lui aient paru suspectes. Il proposa une combinaison qui tendait en somme à reproduire l’appel au peuple. C’était la mort, avec sursis jusqu’à ce que la Constitution eût été approuvée par le peuple. Il est bien clair que les assemblées primaires, réunies pour examiner la Constitution et sachant que leur vote allait donner le signal de la mort du roi, auraient naturellement recherché s’il ne convenait pas de glorifier en quelque sorte, par un acte de générosité et de clémence, la Constitution nouvelle. C’est bien là d’ailleurs le sens que Brissot donnait à sa motion : « Cette suspension met votre jugement sous la sauvegarde nationale, elle imprime à votre jugement