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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/110

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À ce point de la Révolution, Louis ne pouvait échapper à la mort. Même si la majorité de la Convention avait d’abord écarté la peine capitale, Louis n’aurait pas tardé à être frappé à mort. Il est visible, par l’attitude de la Montagne au moment où elle crut à un vote de clémence, que ni la Montagne, ni Paris n’auraient accepté ce vote. Presque tous les représentants de Paris, 20 sur 22 avaient voté la mort. Seuls, Dusaulx et Thomas avaient demandé la réclusion. Philippe-Égalité lui-même, ou par l’entraînement du rôle révolutionnaire auquel il s’était condamné, ou par peur, avait voté la mort. Entre Paris et les départements, il y aurait eu donc un déchirement. Sous quelle forme le peuple de Paris aurait-il manifesté sa volonté ? Aurait-il marché sur le Temple pour « faire justice » lui-même, puisque les représentants de la France se dérobaient ? Et les massacreurs de Septembre auraient-ils, cette fois encore, visité une prison ? Tous les partis, depuis des semaines, ou craignaient ou affectaient de craindre que des forcenés ou des stipendiés ne se portassent au Temple pour égorger le roi. Louvet, qui se plaisait aux hypothèses dramatiques, avait souvent évoqué celle-là. Gensonné, quand il vota et prononça la mort, recommanda expressément que l’on veillât à la sûreté des enfants du roi. La Gironde allait répétant que l’impunité laissée aux massacreurs de Septembre les encourageait à un attentat plus illustre encore ; et elle concluait que si la France, si la Révolution étaient déshonorées par l’assassinat du roi, enlevé à ses juges par le poignard des meurtriers, ce serait la faute de ceux qui protégeaient l’anarchie.

La Montagne sentait bien qu’un coup terrible serait aussi porté à la Révolution : Marat, Robespierre, les orateurs des Jacobins, prodiguaient les avertissements au peuple. Mais si l’on pouvait redouter un coup de violence dans la période même où le roi était jugé et où les plus passionnés pouvaient espérer sa condamnation, que serait-ce après un vote de clémence ? Gouverneur Morris écrivait, le 10 janvier, à Washington :

« Le sort du roi doit être décidé lundi prochain, 14. Cet infortuné a examiné, avec ses défenseurs et sans sortir du plus grand calme, tous les chefs d’accusation dont on le charge, et il en a conclu que la majorité de la Convention voterait pour l’appel au peuple, et que conséquemment il serait massacré. Hélas ! au point où en sont les choses, il n’y a plus de moyen terme possible ; il faut qu’il remonte sur le trône ou qu’il périsse. »

Sans doute, si Louis XVI entrevit la mort par égorgement, il préféra la mort sur l’échafaud, suprême triomphe de la royauté martyre.

La Montagne, au lendemain d’un vote laissant la vie à Louis XVI, aurait sans doute continué ses efforts pour contenir la colère du peuple de Paris. Mais elle aurait cherché à peser sur la Convention pour lui arracher enfin, par mesure de salut public, un vote de mort. Peut-être l’obscure intrigue de Mailhe lui aurait fourni le prétexte nécessaire. Il eût été facile de l’accuser de connivence avec l’envoyé espagnol et, l’ayant décrété de trahison, la pre-