Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prendre un nouvel être, et qu’attendons-nous pour faire des heureux ? » C’est comme une transposition étrange de la croyance chrétienne : il semble que toute la vieille humanité s’associe à la mort de celui qui fut roi ; il semble qu’elle meure en lui avec son ignorance, ses préjugés, ses servitudes ! C’est un être nouveau qui va surgir ; et la source de sang qui a jailli sur la place de la Révolution est bien la fontaine de régénération, fons lavacri et regenerationis. Dangereuse mysticité qui, en frappant Louis, le grandissait et résumait en lui tout un monde ! Mais quelle sublime attente d’une humanité nouvelle !

A cette même source, à cette même fontaine de sang et de régénération, les hommes du passé viennent puiser aussi. Le supplice du roi subi avec une résignation sainte a effacé les fautes et les souillures de la monarchie, et la pitié s’exalte en une sorte de religieuse ferveur.

Le coup pourtant demeure, que la Révolution porta ce jour-là à la monarchie et au passé : coup profond et décisif, et les émotions de la pitié, les passagers retours de contre-révolution ne prévaudront pas contre la force de cet acte souverain. Les rois pourront un moment revenir. Quoi qu’on fasse, ils ne seront plus désormais que des fantômes. La France, leur France est éternellement régicide. Ce n’est pas, comme en Angleterre, à la suite d’un conflit de droits partiels, de prérogatives et de privilèges, que la tête d’un roi est tombée ; c’est parce qu’entre l’ancien droit monarchique et le droit nouveau de la souveraineté populaire, l’opposition a été irréductible.

C’est donc la nation elle-même qui, avec la force de son principe nouveau, a frappé, et le coup porté par elle se prolonge à l’infini comme le principe même au nom duquel elle a frappé. Il y aura des heures étranges où il pourra sembler à des observateurs superficiels que toutes les institutions politiques de la Révolution, que tous ses souvenirs même sont abolis. Que signifie ou que paraît signifier en 1815 ou en 1816 le mot de République, de démocratie, de suffrage universel, de droit populaire ? Que signifient ou que paraissent signifier les survivants, maintenant dispersés, de la grande tourmente ? Et pourtant ils sont encore les hommes qui ont tué le roi, parce que le roi trahissait.

On dirait qu’un jour, au fond d’une obscure et lointaine forêt, ils ont participé à un mystère terrible. Mais, dans ce mystère, l’inviolabilité royale fut frappée à jamais. La royauté restaurée se meut, quoiqu’on fasse, dans l’ombre d’un échafaud ; et la terre même de France, qui n’a pas oublié ces choses et qui garde encore la tragique saveur du sang qu’elle a bu, ne prend pas tout à fait au sérieux les revenants de la monarchie. À l’heure même où la multitude frivole les acclame, elle sait qu’il fut un jour où, en la personne d’un roi jusque-là sacrée, elle les jugea tous. Le peuple a contracté avec la monarchie des habitudes de familiarité terrible et que rien n’effacera.