Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prospérité dont le tableau pût fixer le désir des peuples circonvoisins et les entraîner à l’imitation par le charme de la félicité publique !

« Dire que la souveraineté réside dans l’universalité du genre humain, c’est dire que la France n’est qu’une portion du souverain, qu’elle n’a pas le droit, par conséquent, d’établir chez elle les lois qui lui conviennent, et nous avons pour principe, au contraire, que tout peuple, quelle que soit exiguïté du pays qu’il habite, est absolument maître chez lui, qu’il est égal en droits au plus grand, et que nul ne peut légitimement attenter à son indépendance, à moins que la sienne propre se trouvât visiblement compromise.

« En nous faisant une loi d’admettre ainsi à réunion tous ceux qui le désireraient ou paraîtraient le désirer, nous nous exposerions à voir bientôt venir siéger parmi nous nos plus implacables ennemis ; car après avoir obtenu leur incorporation, et, par conséquent, le droit de représenter à la diète française, par les démonstrations d’une fraternité peut-être simulée, rien ne pourrait les empêcher d’apporter dans le sein du Corps législatif une masse d’opinions anti-populaires, qui replongeraient la République dans le chaos et la confusion des principes. »

Mais quel temps que celui où la France révolutionnaire croyait avoir à se défendre contre l’empressement excessif des peuples à se réunir à elle ! Elle faisait savoir à tous qu’au delà de ses limites naturelles elle n’accepterait pas même les demandes spontanées d’incorporation. Ainsi la théorie des limites naturelles rendait possible la paix avec l’Europe. Avec la propagande révolutionnaire universelle, non seulement la paix était impossible, mais elle était inconcevable. Qu’aurait signifié en effet un contrat qui pouvait être bouleversé dès le lendemain par le mouvement d’une partie des peuples avec lesquels la France aurait négocié ? Au contraire, s’il était bien entendu qu’en aucun cas la France ne sortirait des limites une fois fixées, une base précise s’offrait aux négociations. L’idée de Danton devait agir aussi comme un calmant sur le monde : car les minorités révolutionnaires disséminées en Europe contiendraient leur impatience, et accorderaient leur marche avec l’évolution plus lente de l’ensemble, si elles savaient qu’en aucun cas la France révolutionnaire ne consentirait à les annexer. L’annexion était, en somme, la seule protection constante et certaine, comme Forster le répétait aux Mayençais. Ainsi le refus d’annexion était une invitation à la prudence.

Voici donc que, dans ce système, la France révolutionnaire se dresse, fière, inflexible, héroïque, jusqu’à ce qu’elle ait obtenu de tous la reconnaissance de son large droit au soleil et à la vie. Ce n’est pas dans une posture humble qu’elle sollicite les tyrans : elle ne veut pas avec eux d’un accommodement où une partie de sa liberté serait compromise : et c’est pourquoi elle est allée jusqu’au bout de son droit, en frappant son roi à mort.

Ainsi ce n’est pas une Révolution timide et embarrassée d’elle-même que l’Europe et le monde accepteront et comme il faut qu’elle donne aux peuples et