Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/132

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La démission de Roland, qui se retira le 31 janvier et fut remplacé par Garat, et celle de Pache, qui fut remplacé par Beurnonville, ami de Dumouriez, répondirent à la pensée de Danton. Roland s’en allait, usé, découragé, et la retraite du vieillard chagrin, vaniteux et funeste permettait d’espérer une réconciliation des partis. Pache, lui, n’était pas un homme fini. Il est malaisé de juger son œuvre au ministère de la guerre. Il l’avait reçu en pleine désorganisation. Les anciens commis, expérimentés, mais suspects de tendances contre-révolutionnaires, avaient été écartés, et tout un nouveau personnel, souvent dévoué, parfois tapageur et brouillon, avait pris possession des bureaux. Il avait fallu à Pache une patience infinie, un sens révolutionnaire familier et tenace, pour ne pas se rebuter et pour tirer de ce mécanisme irrégulier des effets en somme très grands. L’hostilité de Dumouriez, qui voulait être maître de tout dans son armée, avait encore rendu la tâche du ministre plus difficile. La démocratie parisienne avait le sentiment de tout cela, et bientôt elle élèvera Pache à la mairie. Mais, par le choix de Beurnonville, un gage de bon vouloir était donné à Dumouriez, et on pouvait se figurer que l’accord rétabli entre le ministère de la guerre et les généraux allait donner un nouvel élan à la victoire.

Mais la Révolution, en guerre avec l’Europe, avait tout de suite besoin de deux choses : de beaucoup d’argent et de beaucoup d’hommes. Les ressources, c’est encore Cambon qui les procure par la création de 800 nouveaux millions d’assignats. Terrible surcharge !

Cambon avait beau assurer que le gage territorial des assignats était encore surabondant, l’inquiétude se répandait. Des patriotes vinrent proposer d’agrandir ce gage. Une section de Paris offrit ses propriétés immobilières comme hypothèque aux assignats. La même motion fut faite aux Jacobins et appuyée par l’ensemble des sections. Elle atteste l’admirable dévouement révolutionnaire. La nation semblait disposée à engager tout son actif dans la Révolution : c’était, contre l’étranger, la levée en masse des fortunes en attendant la levée en masse des hommes.

La proposition était d’aspect grandiose, mais elle était inacceptable. D’abord, elle changeait complètement le caractère de l’assignat. Celui-ci, au lieu d’être la représentation des biens appartenant aux puissances du passé, aurait été gagé sur les biens de la puissance nouvelle, de la démocratie bourgeoise et révolutionnaire. Tant que l’assignat ne reposait que sur les biens d’église nationalisés et sur les biens des émigrés, il n’entamait pas les ressources de l’avenir ; il opérait au contraire le transfert des domaines du passé aux hommes libres de demain. Mais à chaque assignat nouveau émis sur les propriétés individuelles, la Révolution se serait dévorée elle-même, et cette impression aurait appesanti le cours des assignats plus que l’agrandissement apparent du gage ne l’aurait soutenu.

Nul n’aurait pu savoir d’avance quelle charge, au jour de la liquidation