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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/142

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Que par le plus puissant des intérêts, ils ne donnent la préférence à ceux qui, aussi braves et plus instruits, seront les dépositaires de leur vie et de leur honneur devant l’ennemi ? Si un volontaire a du talent, sans doute il sera choisi, et c’est un acte de justice, mais si un sous-officier ou un soldat de ligne en montre davantage, nul doute qu’il aura la préférence. Parcourez nos bataillons et vous verrez que tous ceux qui avaient une teinture de l’art militaire, ont été choisis pour officiers ; vous verrez des commandants de bataillon, qui n’étaient que de simples soldats. Ce ne sont pas des honneurs que nos volontaires recherchent, c’est l’honneur. »

Et Saint-Just insistait sur la nécessité de l’élection, dans les limites marquées par Dubois-Crancé ; elle porterait jusque dans l’armée l’esprit démocratique sans compromettre le droit supérieur et central de la République.

« Je ne prétends pas dissimuler le danger des élections militaires si elles pouvaient s’étendre à l’état-major des armées et au généralat ; mais il faut poser les principes et les mettre à leur place. Les corps ont le droit d’élire leurs officiers parce qu’ils sont proprement des corporations. Une armée ne peut élire ses chefs, parce qu’elle n’a point d’éléments fixes, que tout y change et y varie à chaque instant ; une armée n’est point un corps : elle est l’agrégation de plusieurs corps qui n’ont de liaison entre eux que par les chefs que la République leur donne ; une armée qui élirait ses chefs serait donc une armée de rebelles… L’élection des chefs particuliers des corps est le droit de cité du soldat… L’élection des généraux est le droit de la cité entière. Une armée ne peut délibérer ni s’assembler. C’est au peuple même ou à ses légitimes représentants qu’appartient le choix de ceux desquels dépend le salut public. »

Et Saint-Just donne à la Convention un avertissement qui recevra bientôt de la trahison de Dumouriez une confirmation singulière. « Si vous éprouvez des revers, réfléchissez quels hommes, dans l’état actuel, doivent les premiers abandonner la République. Si vous êtes vainqueurs, l’orgueil militaire s’élève au-dessus de votre autorité ; l’unité de la République exige l’unité dans l’armée ; la patrie n’a qu’un cœur, et vous ne voulez plus que ses enfants se le partagent avec l’épée. »

En fait, comme nous le verrons, ce sont les bataillons de volontaires qui firent échouer le plan de trahison de Dumouriez, que les troupes de ligne fascinées auraient suivi jusqu’au bout, jusque dans le crime. C’est pour assurer la Révolution contre ces surprises de l’esprit de corps que la Révolution projetait l’amalgame et nationalisait l’armée.

C’est dans le même esprit que Jean Bon Saint-André proposait à la Convention, le 5 février, une réorganisation démocratique de la marine. De larges emprunts devaient être faits à la marine marchande pour remplacer les officiers aristocrates démissionnaires ou émigrés. Et là aussi, le principe électif et populaire devait prévaloir. « C’est par des élections que le peuple exerce le