Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et de création sacrée, de liberté et de force, de colère et de douceur. Le flambeau de la guerre, en une suprême et prodigieuse lueur, révèle au loin l’étendue des horizons pacifiques.

Un frisson souleva la France ; en bien des communes le nombre des volontaires dépassa le contingent fixé. Parfois les jeunes gens se disputèrent la gloire de partir. En une commune, ils plantèrent une lance dans un champ, et les quatorze qui l’atteignirent les premiers à la course, furent désignés pour aller représenter le village sous les drapeaux de la liberté.

Cet élan était soutenu par la force de la science et par d’admirables progrès techniques qu’accélérait l’enthousiasme. J’ai déjà dit de quelle artillerie puissante et habile la Révolution avait hérité. Gouverneur Morris, à la fin de décembre 1792, en avait constaté la force.

« Elle est, sans contredit, la meilleure qu’il y ait en Europe, et ne cessera pas de l’être, pour deux motifs. Premièrement, le Français est de nature meilleur artilleur qu’aucun autre, attendu qu’il est dans son caractère et, si je puis m’exprimer ainsi, dans son sang, d’agir spontanément et sans délibération. De là, il est très habile dans les choses qui doivent s’exécuter d’un seul regard et d’un seul coup… Deuxièmement, ces dispositions naturelles ont été cultivées. Les hommes habiles qui se sont trouvés autrefois à la tête des affaires militaires en France, ont eu le mérite de connaître le caractère qu’ils avaient à manier. Ils ont donc cherché la perfection là où les Français pouvaient l’atteindre. Ils ont renoncé à former ces colonnes imposantes d’infanterie, marchant avec la froide précision de la discipline allemande. Il en résulte que l’armée française actuelle diffère moins qu’on ne le supposerait de ce qu’étaient autrefois les armées françaises. Le même esprit d’enthousiasme, le même mépris du danger, la même impétuosité courageuse et la même impatience distinguent encore la nation qui habite ce qui fut autrefois l’ancienne Gaule. »

Or, en mai 1793, Barère dit aux représentants en mission :

« Ils observeront, ils encourageront les étonnants progrès de l’artillerie française. »

Ainsi, dans l’armée qui se formait au commencement de 1793 pour lutter contre l’Europe coalisée, la force de la Révolution, qui s’accordait merveilleusement avec l’impétuosité du génie national, était complétée par la force de la science. Non, les despotes n’auront pas raison de la liberté, et même si la Révolution doit s’épuiser enfin par l’effort prolongé de la lutte et par les déchirements intérieurs, elle aura assez vécu, assez combattu, assez créé, assez rayonné pour qu’on ne puisse plus désormais la séparer de la vie humaine.

Isnard disait dans sa sublime adresse aux Français :

« On vous dit que nous sommes divisés, gardez-vous de le croire. Si nos opinions diffèrent, nos sentiments sont les mêmes. En variant sur les moyens,