Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/166

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au spéculateur politique de rechercher les lois qui pouvaient le rendre durable. J’ai indiqué plusieurs de celles qui maintiendraient l’égalité, et j’ai dû rechercher, par conséquent, celles qui préviendraient l’inégalité, et qui se précautionneraient contre l’inégalité des richesses. Or, voici comment j’ai raisonné.

« L’homme apporte dans la société ses bras et sa personne pour les soumettre à la protection commune. Des propriétés particulières se compose la propriété générale, comme la force générale se compose des forces particulières ; c’est du concours de ces moyens réunis de forces et de biens que se compose enfin la puissance commune. Mais la société ne peut accorder sa protection qu’autant qu’elle peut disposer des forces et des biens de chacun, donc ces forces et ces biens sont à la disposition de la société.

« Ce qui existe dans le droit existe aussi dans le fait. C’est ainsi que, quoique notre force individuelle soit notre propriété, la société peut cependant en disposer au point de nous ordonner de la consacrer toute entière, de mourir, pour aider la chose commune, ou pour la sauver ; elle dispose aussi d’une partie de nos fortunes pour le maintien de la république. Comment oserait-on nier que la loi puisse disposer de ma fortune toute entière, puisqu’elle dispose de ma personne toute entière, propriété bien plus importante que celle de mes richesses ! Me prendre mon bien n’est donc pas plus un attentat à ma propriété que me prendre ma vie n’est un attentat à ma vie.

« Ce sont donc ici des contributions que la loi ordonne ; car soit qu’elle demande à ma commune cent hommes pour les faire tuer par l’ennemi, soit qu’elle lui demande cent mille francs pour équiper ces hommes, elle ne fait qu’user du droit de la société de disposer des hommes et des biens lorsque le salut public le demande.

« Après avoir ainsi posé le problème rigide, je ferai observer combien je l’adoucissais, quand je disais : « Le législateur peut encore établir des lois précises sur le maximum de fortune qu’un homme peut posséder, au delà duquel la société prend sa place, et jouit de son droit. » Or, je n’entendais pas qu’au delà de ce maximum la société pouvait saisir sur le surplus pour en former un trésor ou un domaine, mais seulement que ce serait là qu’elle irait demander les contributions extraordinaires dont elle aurait besoin ; je m’en expliquai plus bas.

« Vous ne trouverez là qu’une très grande justice. À Athènes, où le gouvernement était démocratique, on ne demandait rien à celui qui n’avait que tant de mines de revenu, c’était son nécessaire ; on commençait à ceux qui avaient du superflu, et l’on augmentait graduellement la taxe à proportion de l’augmentation des fortunes, en sorte que l’homme très riche payait beaucoup, l’homme moins riche moins, et l’homme à revenu modique ne payait rien. Ce système est proposé aujourd’hui, et très vraisemblablement il sera adopté. Mais il en résulte que, dans les cas extraordinaires et imprévus,