Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/167

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comme dans les incendies, les inondations, les grêles, il conviendrait que l’on imposât le superflu des riches des cantons florissants pour verser des indemnités sur les pays dévastés. Tout cela pourrait être soumis à des lois régulières, par des additions de masse, ou tel autre moyen non arbitraire et précis.

« Je vous demande encore si, lorsqu’un village aura besoin d’une fontaine, d’un chemin, il ne sera pas juste qu’il soit fait une imposition sur les superflus qui dépassent le maximum. Un homme qui a cent mille livres de rente, dont vingt mille seraient à la disposition de la nation, ne sera pas détourné pour cela d’accroître encore son revenu ; car la nation ne lui prendrait pas ses vingt mille francs tous les ans, mais elle pourrait quelquefois lui en demander le tout ou partie pour des cas extraordinaires. Voilà ce que j’ai voulu dire, et tout cela peut être soumis à des lois.

« Quant à l’observation qu’on ne pourrait modérer ainsi l’accroissement de la fortune immense des capitalistes, je réponds : 1o que cette difficulté a lieu pour les contributions quelconques, et qu’il faudrait bien s’y soumettre pour la contribution du superflu ; 2o que cela ne prouve autre chose, sinon qu’on n’a pas encore trouvé le moyen d’atteindre par la taxe les fortunes ou capitaux, et nullement que cela ne se puisse ; 3o que les grandes richesses sont un grand embarras à la liberté, puisque même elles échappent aux lois de l’État et à celles de la nécessité publique, or c’est ce dont je me plains ; 4o qu’il y a des moyens presque sûrs de connaître la fortune des capitalistes, moyens connus dans les corporations ci-devant existantes, que le régime ancien ne pouvait employer, mais qui pourraient l’être dans le nouveau. »

Il serait hors de propos de discuter la conception qu’a Rabaut de la propriété, elle est singulièrement factice : il semble voir dans la propriété un fait extérieur à la société elle-même, un apport que fait l’homme, et le droit de la société sur la propriété n’est déduit que de son devoir de protection. Rabaut élague tout ce qui ressemble à ce qu’aujourd’hui nous appelons socialisme et communisme, à tout ce qui aurait pu le mettre sur la voie de Babeuf. Les prélèvements que la société fait sur la richesse ne doivent pas constituer « un trésor ou un domaine », une propriété collective et sociale. Tout l’effort de la dialectique abstraite de Rabaut aboutit à justifier l’impôt progressif, et encore ne voit-il là qu’une ressource intermittente et extraordinaire pour parer à des catastrophes sociales ou naturelles. Mais, malgré tout, la propriété était comme ployée aux nécessités de la vie publique, et il n’est pas indifférent qu’à l’heure même où les Conventionnels se préoccupaient de donner une Constitution à la France, il soit apparu à plusieurs d’entre eux que la démocratie était inconciliable avec une trop grande disproportion des fortunes. Il leur semble que l’égalité politique suppose une certaine égalité sociale, et ils font effort pour la réaliser. C’est le même sentiment que, d’un point de vue tout opposé. Gouverneur Morris exprimait dans une lettre de