Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/187

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désespoir, se fasse justice à lui-même. Dans tout pays, où les droits du peuple ne sont pas de vains titres consignés fastueusement dans une simple déclaration, le pillage de quelques magasins à la porte desquels on pendrait les accapareurs mettrait bientôt fin à ces malversations qui réduisent vingt-cinq millions d’hommes au désespoir, et qui en font périr des milliers de misère. Les députés du peuple ne sauront-ils donc jamais que bavarder sur ses maux, sans en présenter jamais le remède ?

« Laissons là les mesures répressives des lois, il n’est que trop évident qu’elles ont toujours été et qu’elles seront toujours sans effet : les seules efficaces sont des mesures révolutionnaires. Or, je n’en connais aucune autre qui puisse s’adapter à nos faibles conceptions, si ce n’est d’investir le comité actuel de sûreté générale, tout composé de bons patriotes, du pouvoir de rechercher les principaux accapareurs et de les livrer à un tribunal d’État, formé de cinq membres pris parmi les hommes connus, les plus intègres et les plus sévères, pour les juger comme des traîtres à la patrie.

« Je connais une autre mesure qui irait bien plus sûrement au but ; ce serait que les citoyens favorisés de la fortune s’associassent pour faire venir de l’étranger les denrées de première nécessité, les donner à prix coûtant, et faire tomber de la sorte celui auquel elles sont poussées aujourd’hui, jusqu’à ce qu’il fût ramené à une juste balance ; mais l’exécution de ce plan suppose des vertus introuvables dans un pays où les fripons dominent et ne jouent le civisme que pour mieux tromper les sots et dépouiller le peuple ! Au reste, ces désordres ne peuvent pas durer longtemps. Un peu de patience, et le peuple sentira enfin cette grande vérité, qu’il doit toujours se sauver lui-même. Les scélérats qui cherchent pour le remettre aux fers à le punir de s’être défait d’une poignée de traîtres les 2, 3 et 4 septembre, qu’ils tremblent de s’être mis eux-mêmes au nombre des membres pourris qu’il jugera nécessaire de retrancher du corps politique. »

C’était, semblait-il, la provocation à peu près directe au pillage et même au meurtre ; et cet article de Marat, commenté passionnément par ses adversaires, est resté comme une cocarde flamboyante sur la journée du 25 février. Pourtant, il est visible qu’un mouvement aussi vaste ne s’improvise pas. Or, le pillage commença dans plusieurs rues entre neuf et dix heures du matin, et à ce moment le journal de Marat se distribuait à peine. Michelet croit que l’article a paru la veille du jour du pillage. Il met l’article au 23 et le pillage au 24. C’est une erreur : l’article et le pillage sont du même jour, le 25. Et certainement le coup était préparé depuis près d’une semaine. Les femmes avaient, en somme, averti dès la veille la Convention. Le récit des Révolutions de Paris est décisif à cet égard.

« Dimanche, parmi les pétitionnaires, plusieurs crièrent : « Du pain et du savon ! » Ces cris étaient appuyés hors de la salle par des groupes nombreux et très animés. La Convention écoute tout cela avec assez de froideur,