Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et ajourne à mardi, pour y faire droit ; loin de calmer et de satisfaire, cette détermination aigrit encore davantage, et en quittant la barre, les femmes dans les couloirs de la salle disent tout haut à qui veut les entendre : « On nous ajourne à mardi, mais nous, nous nous ajournons à lundi. Quand nos enfants nous demandent du lait, nous ne les ajournons pas au surlendemain. »

Le mot d’ordre que Jacques Roux avait donné peut-être par l’intermédiaire de la Société fraternelle et par la section des Gravilliers était évidemment celui-ci :

« Vous irez à la Convention le dimanche 24, jour où elle reçoit les pétitionnaires ; et si elle ne vous donne pas satisfaction immédiate, vous vous en prendrez dès le lendemain lundi aux magasins. »

Ce n’est donc pas l’article de Marat qui a décidé le pillage. Et même, quand on le lit avec soin, il est visible qu’il ne le désirait point. Il savait (il le dira lui-même à la Convention), que depuis quelques jours il y avait une fermentation très grande dans Paris. Il craignait que le mouvement fût dirigé par les hommes que lui-même, le 12 février, avait dénoncés comme des intrigants et des conspirateurs. Surtout, il craignait que le peuple pesât sur la Convention pour obtenir une taxation générale des denrées dont il n’attendait, pour la Révolution, que catastrophes. Et il cherche à dériver toutes ces passions en écrivant que quelques exemples individuels sur les accapareurs suffiraient à tout faire rentrer dans l’ordre et à ramener la juste proportion des prix. L’article est absurde, et il est d’un désordre extrême. Que veut dire Marat quand il parle de l’anéantissement complet des capitalistes ? Cela n’a pas de sens : car il veut laisser subsister le commerce privé. Il va, en ses propos incohérents, des conseils de pendaison à la douce hypothèse d’une association de riches philanthropes instituant un commerce gratuit et vendant les denrées au prix de revient. Mais, au fond, c’est l’institution d’un tribunal révolutionnaire qu’il propose. Il veut appliquer aux difficultés de la question des subsistances la solution que Danton proposera bientôt, le 9 mars, pour toutes les difficultés où se débat la Révolution. Et tout le reste sert à faire passer un conseil relativement modéré ou que Marat jugeait tel. Au fond, il dut être très penaud que son article coïncidât avec les pillages : car il était destiné plutôt à les éviter. Marat était toujours convaincu que c’étaient les Girondins, les Brissotins qui cherchaient à exciter des désordres pour perdre la Révolution : et il se trouva sans doute assez ridicule d’avoir fourni lui-même à ses ennemis un thème vraiment trop facile d’accusation.

Le 26 février, dès le lendemain, il répond à Salle, devant la Convention :

« Les mouvements populaires qui se sont produits dans Paris sont l’ouvrage de cette faction criminelle et de leurs agents (le côté droit) ; ces mouvements sont fomentés depuis longtemps dans les sections par leurs émis-