Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/194

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denrées. Lorsque, un peu plus tard, le 25 juin, Jacques Roux dirait la Convention : « quel est le but de ces agioteurs qui s’emparent des manufactures, du commerce, des productions de la terre ? », il révélera bien les angoisses de toute cette fourmillante artisanerie des Gravilliers, qui redoutait une expropriation économique. Il y a loin, à coup sûr, de cette petite bourgeoisie ardemment révolutionnaire, qui voulait neutraliser les premiers effets économiques et capitalistes de la Révolution non en rétrogradant, mais en poussant plus avant, à la petite bourgeoisie racornie et réactionnaire qui est devenue dans plusieurs capitales de l’Europe la proie de l’antisémitisme, et qui répète des formules vaines contre « la finance, le monopole, l’accaparement ». Aujourd’hui, les voies socialistes et communistes sont ouvertes, et clairement tracées : et c’est par la plus rétrograde aberration que la petite bourgeoisie refuse d’y entrer. Au commencement de 1793, il n’y avait pas de claire formule socialiste : et c’est en tâtonnant à travers la Révolution que le peuple des artisans cherchait sa voie.

Quelles que fussent les insuffisances et les obscurités de la pensée de Jacques Roux, il y avait dans son action deux choses neuves et fortes, qui le distinguaient de tous les partis et l’opposaient à Hébert lui-même. D’abord, il faisait le principal, l’essentiel, de ce qui n’était pour les autres, même les plus hardis, qu’un accessoire, un à-côté. C’est la question de la propriété, de ses limites nécessaires, du contrôle auquel elle doit être soumise, qu’il pose obstinément au premier plan. Il ne se borne pas à déclamer au passage contre les accapareurs, c’est-à-dire contre l’abus du droit de propriété ; il veut que la lutte soit engagée systématiquement, constamment, et qu’elle soit la préoccupation dominante, l’œuvre maîtresse de la Révolution. En second lieu, et par une conséquence naturelle, il défend le peuple de toute superstition à l’égard des partis purement politiques, et si Saint-Just, Robespierre, Hébert, Chaumette, hésitent à entrer dans la bataille sociale, s’ils ne veulent pas s’y donner tout entiers, c’est contre eux que l’on marchera. De là, dans la journée du 22 février, les huées des tribunes contre les Jacobins déconcertés et scandalisés. De là, dans la journée du 25, à la Commune même, contre Hébert et Chaumette qui mollissent, qui, loin de pactiser avec le mouvement, parlent de le réprimer et de faire battre la générale, des invectives et des huées. « Tant mieux ! Tant mieux ! » criaient les tribunes à chacun des actes de pillage dénoncés à la Commune. « Accapareurs ! accapareurs ! » criaient-elles à tous les membres de la municipalité qui manifestaient leur réprobation. Accapareur, voilà dans la lutte des partis, un mot de guerre nouveau à signification sociale. Jacques Roux ne l’a pas introduit dans le langage de la Révolution ; mais il lui a donné un sens plus plein et un plus vaste retentissement.

Effrayés et irrités, tous les partis, surtout les partis extrêmes, qui craignaient davantage d’être compromis et délaissés, se tournèrent violemment contre lui. Ils étaient d’autant plus irrités que la Gironde à la tribune et dans