Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/226

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Aucun Girondin ne monta à la tribune. La participation évidente des royalistes aux troubles de Lyon les gênait. Mais ici encore, la Gironde, tiraillée en des sens opposés, n’est plus qu’une force neutre et inerte. Grand péril pour la Révolution si cet état d’esprit prévalait ! Mais grand péril pour la Gironde elle-même ! Les trois commissaires, tout en contenant un peu le parti Jacobin, en assurèrent la victoire. Ils firent arrêter le procureur de la Commune Laussel, qui « s’était couvert du manteau du patriotisme, et affectait un faux zéle ; des patriotes clairvoyants le suspectaient avec raison ! l’on a reconnu qu’il ne sévissait contre les riches exploiteurs, que pour les mettre à contribution. » Mais, grâce à leur appui moral, les révolutionnaires furent de nouveau maîtres des sections où avaient dominé depuis des semaines Girondins, Feuillants et royalistes : et c’est un maire démocrate, Bertrand, ami personnel de Chalier, qui fut élu le 9 mars. Les commissaires, dans leur rapport du 17 mars à la Convention, marquent bien le sens social de la lutte engagée à Lyon : ils notent le groupement de toutes les forces conservatrices et bourgeoises.

« Il fallait imprimer au patriotisme, dans cette importante et populeuse cité, ce caractère et ce dévouement héroïques qui peuvent seuls accélérer le terme de la Révolution et consolider à jamais la liberté. Nous avons tout tenté pour y parvenir, et nous sommes loin de nous flatter de quelque succès. Nous n’en accusons pas le génie du commerce qui n’est assurément pas incompatible avec les vertus civiques et qui sent vivement le besoin de la liberté. Nous n’en voyons d’autre cause que la multitude de ces journaux inciviques, de ces écrits calomnieux et mensongers dans lesquels on occupe beaucoup plus les citoyens des hommes que des choses, où l’on fait avec acharnement le procès au feu sacré du patriotisme et où l’on se plaît à semer des pavots sur un peuple qui devrait être debout ; où l’on aigrit le riche contre le pauvre en alarmant les propriétaires ; où l’on flatte le pédantisme de certaines gens en taxant d’ignorance le peuple dont le bon sens tue tous les sophismes et détruit tous les paradoxes ; où l’on sème d’avance les germes d’une constitution aristocratique et D’UN GOUVERNEMENT BOURGEOIS ; où l’on prend enfin à tâche de diviser tous les citoyens pour miner insensiblement le principe de l’unité et de l’indivisibilité de la République. »

Si je ne me trompe, c’est la première fois que le mot « gouvernement bourgeois » paraît dans le langage de la Révolution, et il est curieux qu’il ait été suggéré par la lutte de classes qui, à Lyon, dominait la lutte politique.

Les revendications économiques très nettes des démocrates lyonnais ajoutaient à la force du mouvement social qui se dessinait à Paris. Il n’y avait probablement aucun rapport direct entre Chalier et Jacques Roux. Sans doute Chalier ignorait jusqu’au nom du prêtre, qui n’avait pas grand éclat. Le jeune Lyonnais Leclerc ne va à Paris qu’en mai, et là c’est aux Jacobins, où Jacques Roux n’était pas aimé, qu’il s’adresse. Malgré tout, la conformité