Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/250

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tonnerre de la puissance qui vous est déléguée sur ces tigres qui font des commerces qui nuisent aux trois quarts des hommes, qui entassent dans les greniers de l’avarice les denrées de première nécessité et les subsistances auxquelles les hommes ont un droit légal du moment qu’ils voient le jour…

« Mandataires du peuple, nous demandons donc, au nom du salut de la République française, le rapport du décret qui a déclaré l’argent marchandise…

« Nous vous demandons des lois répressives de l’agiotage et des accaparements.

« Nous vous demandons que vous établissiez une contribution appelée l’impôt de la guerre, de manière que celui qui a plus de quinze cents livres de rente paie le quart du surplus pour encourager le départ des volontaires et subvenir à l’entretien des femmes et des enfants… La patrie a le droit de disposer de nos bras. Mais les mandataires du peuple doivent ouvrir le trésor de la nation à ceux qui sont dans l’indigence, à celles qui souffrent de l’absence de leur époux. Ils doivent purger la République des traîtres qui, par leurs calculs usuraires, lui portent sans cesse le coup de la mort ; ils doivent enfin consulter les vœux du peuple, guérir ses maux, prévenir ses besoins et tout faire pour son bonheur, s’ils ne veulent pas vivre déshonorés et mourir, comme le dernier roi des Français, du supplice des traîtres. »

Ce n’est pas Jacques Roux, désavoué à ce moment de tout côté, qui affronte la Convention, mais c’est bien sa pensée, c’est bien cet esprit de système qui ramène à une idée fixe et centrale tous les événements. Dans la mort du roi, les Gravilliers avaient vu surtout la revanche de la misère ; dans la crise nationale et révolutionnaire de France, ils voient surtout l’occasion d’affirmer à nouveau leurs vues sur le monopole. C’est comme le manifeste social par lequel Jacques Roux cherche à lier d’avance la nouvelle révolution qui s’avance. Il met sa marque systématique sur l’agitation, brouillonne au demeurant, de Varlet et des Cordeliers. Ceux-ci ne pouvaient réussir à provoquer un soulèvement.

D’abord, si grave que fût la situation, elle ne semblait point désespérée. Or, pour que le peuple portât atteinte à la Convention, il aurait fallu un accès de désespoir. De plus, pour perdre les Girondins il fallait, en les solidarisant avec Dumouriez, démontrer que celui-ci trahissait. Mais, à ce moment, la trahison de Dumouriez n’était pas démontrable, parce qu’elle n’était pas encore. Il était tenté de trahir, mais aucun de ses actes n’était encore un acte de trahison. La marche sur la Hollande avait été désirée par tous les révolutionnaires ; l’échec d’une armée, où il n’était plus, ne pouvait lui être imputé avec certitude. Dénoncer à ce moment Dumouriez, c’était tourner contre la Révolution une force inquiétante déjà et obscure, mais qui pouvait encore servir la Révolution. C’était, sans preuves précises, rejeter à l’ennemi le seul général qui inspirât confiance à l’armée. Et Dumouriez, tant qu’il restait de-