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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/262

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toutes les dissensions qui ont divisé jusqu’ici le Sénat de la nation se seraient éteintes sur la tombe de Pelletier. Vaine attente : le soir même de son enterrement, elles ont éclaté avec fureur au sujet de la nomination d’un nouveau président ; aucune des marques de mépris et de haine que les deux partis ont coutume de se prodiguer n’a été épargnée, de sorte que l’illusion du rétablissement de la concorde n’a duré qu’un instant.

« Vouloir que des hommes ennemis de la Révolution par sentiment, par principes, par intérêts, se sacrifient de bonne foi à la patrie, c’est vouloir une chose impossible ; car les hommes ne changent pas de cœur comme le serpent change de peau. Attendons-nous donc à les voir sans cesse lutter contre les amis du bien public, toutes les fois qu’ils n’auront pas à craindre d’être notés d’infamie. Il ne s’agit donc plus de vivre en paix avec eux, mais de leur déclarer une guerre éternelle, et de les contenir par la crainte de l’opprobre, et de les forcer au bien par le soin de leur propre salut. J’aurais fort désiré pouvoir déposer le fouet de la censure, mais il est plus de saison que jamais ; je renouvelle donc ici l’engagement sacré que j’ai pris à l’ouverture de la Convention de rester dans son sein non seulement pour vouer les traîtres à l’exécration publique, mais pour noter d’infamie les ennemis du bien commun, les faux amis de la liberté ».

Mais si, après une courte trêve, il se décide à l’éternel combat contre la Gironde, il ne veut pas avoir dans la Révolution d’autres ennemis. Je dirais presque qu’il n’a plus le courage d’agrandir ses haines. Il a tous les jours davantage besoin de sympathie et d’estime. Il se lasse de faire peur, de faire horreur ; et il veut rester uni aux patriotes de la Montagne, les rassurer, étendre peu à peu sur eux son influence.

« Quoique déterminé, dit-il dans ce même numéro du 28 janvier, à imprimer le cachet de l’opprobre sur le front de tout ennemi déclaré de la patrie, je n’en suis pas moins jaloux de ramener sur mon compte mes collègues intègres qui pourraient encore avoir quelque prévention contre moi. Ayant besoin de leurs suffrages pour faire le bien, je me fais un devoir d’aller au devant d’eux, et de dissiper les impressions défavorables qu’on a cherché à leur donner en me peignant comme une tête exaltée, et un cœur féroce, pour avoir quelquefois conseillé d’immoler des coupables au salut public. S’ils prennent la peine d’examiner avec soin dans quelles circonstances ce conseil, que commandait le malheur des temps, est sorti de ma plume, ils reconnaîtraient que je suis le plus humain des hommes. »

Il ne se désavoue pas ; il ne se renie pas ; il recommence même l’apologie des massacres de septembre qu’un moment il avait paru déplorer. Mais il veut dissiper le plus possible les craintes et les haines qui s’attachent à son nom. Les événements qui ont justifié plus d’une de ses prophéties, ont, en flattant son amour-propre, apaisé son cœur. Il raconte que ses collègues lui ont dit : « Tu es donc prophète, Marat ? » le jour où la correspondance de Mirabeau avec