Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/267

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dans les cafés pour déclamer contre la députation de Paris. Le soir même, le sieur Plaisant de la Houssaye se rendit au club électoral dont il est membre, et il déclama avec fureur contre l’Ami du peuple, qu’il accuse d’être l’ennemi de la patrie et le principal auteur de la réception qu’on avait faite aux pétitionnaires. Il avait aposté plusieurs aboyeurs et aboyeuses dans les tribunes, qui firent chorus avec lui. J’ai déjà peint cet intrigant qui faisait les fonctions de président de la députation. »

Tout ce qui était dirigé contre la Montagne, tout ce qui pouvait la diminuer ou la compromettre était donc, à cette date, suspect ou même odieux à Marat. Même quand, après l’imprudence de son article du 25 février, les « patriotes » le défendirent mollement contre la colère et les demandes de mise en accusation formulées par la Gironde, il le leur reprocha avec amertume, mais comme on reproche une défaillance à un ami, sans aucune pensée de rupture.

« Mes chers collègues, leur dit-il, dans son numéro du 1er mars, ce n’est pas pour moi que je prends aujourd’hui la plume : c’est pour vous, pour votre honneur compromis par l’étrange discussion que vous avez laissé s’engager le 26 février sur mon compte, et l’indigne décret que vous avez permis à la faction criminelle de rendre contre moi.

« Depuis que la réunion des fédérés aux Parisiens a fait triompher le parti patriotique de la Convention et que les complots éternels des chefs de la faction criminelle ont ramené plusieurs honnêtes députés égarés, vous faites la majorité, et il dépend de vous d’arrêter toute mesure désastreuse, de prévenir tout injuste décret. Or, il n’est aucun de vous qui ne soit convaincu que les meneurs des hommes d’État se sont prévalus d’un passage du numéro 133 de ma feuille pour exciter le pillage de quelques boutiques d’épiciers, et m’accuser ensuite perfidement d’être l’auteur des désordres qu’avait préparés la rapacité des accapareurs, et qu’ont amenés les sourdes menées des émissaires de la faction criminelle, de concert avec les émigrés et les autres contre-révolutionnaires. Cependant, loin de vous élever contre cette perfidie, et de dévoiler cette trahison, vous avez souffert qu’un décret inique et infamant renvoyât la dénonciation aux tribunaux criminels ordinaires, et chargeât le ministre de la justice de poursuivre les instigateurs, les auteurs et les complices des désordres qui ont eu lieu le 25, comme si ces désordres pouvaient me regarder le moins du monde, comme si une réflexion politique, une simple opinion pouvaient être un délit.

« Je sais bien que le décret rendu à mon égard est nul et qu’il ne peut avoir aucune suite. Je sais bien aussi qu’il n’est déshonorant que pour ceux qui l’ont rendu : mais les scélérats qui l’ont lancé ne manqueront pas de s’en prévaloir pour induire en erreur nos frères des départements, pour me calomnier de nouveau, pour vous dénigrer, pour se réhabiliter dans l’opinion publique, et perdre la patrie avec plus de facilité. »

Comme on sent qu’il ne veut plus être aux yeux de la France le monstre,