Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutionnaire, et puisqu’on a osé, dans cette assemblée, rappeler ces journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi, je dirai, moi, que si un tribunal eût alors existé, le peuple auquel on a si souvent, si cruellement reproché ces journées, ne les aurait pas ensanglantées ; je dirai, et j’aurai l’assentiment de tous ceux qui ont été les témoins de ces événements, que nulle puissance humaine n’était dans le cas d’arrêter le débordement de la vengeance nationale. Profitons des fautes de nos prédécesseurs.

« Faisons ce que n’a pas fait l’Assemblée législative. Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être : organisons un tribunal non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu’il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis. »

Est-ce, comme on l’a dit, la glorification des œuvres de sang ? Est-ce l’apologie des journées de septembre ? Barère, dans ses Mémoires écrits d’ailleurs plus de trente ans après, raconte ceci :

« Un jour dans le premier Comité de Constitution, les Girondins reprochant à Danton les meurtres des 2 et 3 septembre dans les prisons, Danton, impatienté des ces récriminations perpétuelles, se leva et d’un air furieux leur répondit : « Le 10 août, la Révolution est accouchée de la liberté républicaine, le 2 septembre elle a déposé l’arrière-faix. » J’assistai à la séance et j’ai entendu les paroles de Danton qui réduisirent ses accusateurs au plus profond silence. Mais ceux qui vantent l’éloquence tribunitienne de Danton sans l’avoir ni jamais vu ni entendu, doivent convenir que c’est là un langage dont nos halles seraient jalouses. »

Vraiment, j’admire la délicatesse littéraire de Barère. S’il avait le sens de la grandeur impersonnelle de la Révolution, de la dignité collective de la Convention, il avait à l’égard des hauts individus une tendance dénigrante, et comme il avait exprimé son dédain pour « le petit génie » de Robespierre, il affectait de blâmer la grossièreté de Danton. Mais au fond, il n’ose pas contredire cette brutale physiologie révolutionnaire des journées de septembre. Et les réserves qu’il fait sur la création du tribunal révolutionnaire attestent surtout ses propres indécisions. Après coup et à distance, il exagère beaucoup l’opposition qu’il y fit :

« Je m’y opposai, écrit-il, ainsi que l’atteste le Moniteur de ce temps-là. Je portai même l’esprit d’opposition contre l’établissement de ce tribunal odieux jusqu’à paraître à la tribune avec le livre de Salluste sur la guerre de Catilina, livre où ce vertueux historien peint avec force le danger de semblables tribunaux qui commencent par attaquer et punir quelques coupables, et finissent par perdre les meilleurs citoyens. »

Oui, mais si l’on se reporte au texte du Moniteur avoué et invoqué par Barère lui-même, on y voit que, devant les murmures de l’extrême-gauche, sa