Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/277

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déclarant, à propos de la mort du roi, que plus la Révolution était obligée de frapper des coups terribles pour se défendre, plus elle devait, par de larges lois d’équité et de générosité sociales, attester au monde le fond persistant d’humanité que recouvraient un moment les nécessités brutales du combat ? Avant d’appeler sur sa tête et sur son nom la formidable responsabilité du tribunal révolutionnaire, voulait-il se couvrir devant l’histoire par une loi de clémence ? Ou encore, se sentant ébranlé déjà par l’effondrement de ces opérations de Belgique et de Hollande dont il avait été l’inspirateur, cherchait-il à grouper autour de lui les sympathies de toute cette bourgeoisie pauvre, meurtrie et ardente, qu’il allait libérer de chaînes ignominieuses ou du cauchemar de la prison ? Se disait-il aussi qu’en apaisant un peu toutes ces colères, on atténuerait les ferments de révolution sociale qui commençaient à travailler le peuple, sous l’action des Enragés ?

« Respectez la misère, s’écriait-il, et la misère respectera l’opulence : ne soyons jamais coupables envers le malheureux et le malheureux qui a plus d’âme que le riche ne sera jamais coupable. »

Il songeait sans doute à tous ces artisans menacés de la faillite, et dont Jacques Roux et Varlet exagéraient les rancunes et les craintes, à toute cette petite bourgeoisie excitée et souffrante, plus redoutable pour la stabilité de l’ordre révolutionnaire, que le prolétariat moins cohérent et moins aigri. Enfin, oserai-je le dire ? Je ne puis défendre entièrement mon esprit d’une sinistre hypothèse. Peut-être, tout au fond de lui-même, Danton s’est-il dit que le fonctionnement rapide du tribunal révolutionnaire peuplerait trop vite les prisons et qu’il fallait faire de la place. Mais plus probablement, Danton, hanté par le souvenir de septembre dont il parle ce jour même, redoute que, malgré l’institution du tribunal révolutionnaire, le peuple, sous le coup d’un désastre et en une heure d’affolement meurtrier, se porte aux prisons et recommence les massacres. Sans doute les prisonniers pour dettes, qu’un ordre de la Commune avait sauvés tout juste en septembre, faisaient-ils parvenir aux chefs révolutionnaires des appels pleins d’épouvante. Les laisserait-on, en un jour de confusion sanglante, égorger pêle-mêle avec les suspects de contre-révolution ? Et Danton limitait d’avance le désastre possible.

Mais il ne suffisait pas à Marat, à Robespierre, à Danton, qui formèrent vraiment ces jours-là, par leur entente, une sorte de triumvirat momentané, d’avoir fait jaillir des cœurs la flamme du patriotisme et d’avoir organisé la terrible répression révolutionnaire. Ils voulaient encore concentrer les forces de la Révolution, mettre un terme à l’anarchie affaiblissante des pouvoirs. Par qui était conduite l’action révolutionnaire au dedans et au dehors ? Par un conseil exécutif provisoire de ministres sans grande autorité, qui n’avaient ni assez de force légale ni assez de prestige pour diriger la Convention, et