Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/304

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ralliement le cœur de Jésus, comme pour immoler à l’Église leur impiété d’hier ; ils n’attendaient qu’une occasion de prendre le commandement. C’est pure légende que de prétendre, comme l’ont fait quelques écrivains catholiques, que les paysans durent faire violence aux nobles. Ils l’avaient dit surtout du jeune La Rochejaquelein. Or voici ce que raconte le royaliste de la Boutelière :

« Près de Bressuire se cachait comme suspect, chez le marquis de Lescure, son cousin, un jeune homme, Henri de La Rochejaquelein, dont le nom allait en quelques mois passer glorieux à la postérité. Âgé de vingt ans, bouillant et plein d’ardeur, dès qu’il apprit la victoire du 19 mars, il accourut au camp de l’Oie pour se joindre aux insurgés, et s’adressa au chevalier de la Vérie, auquel il demanda de le prendre pour aide de camp. Sapinaud devina le héros sous cette figure d’enfant, et après quelques instants d’entretien, il refusa l’offre du jeune homme, en lui disant : « Vous êtes fait pour commander et non pas pour être commandé ». Puis il l’engagea à user de l’influence que son nom lui donnait aux environs du château de la Barbelière, domaine de sa famille, pour se mettre à la tête des paysans des environs de Châtillon, évidemment dévoués à la révolte, bien que, sous le coup de la répression terrible de 1792, ils n’eussent pas encore bougé.

« La Rochejaquelein fut vite convaincu, Sapinaud lui donna un peu de poudre, et il partit vers Châtillon, avec le jeune Baudry d’Asson. Comme ils arrivaient, l’ordre d’effectuer le recrutement était venu de Niort. Quétineau, avec une colonne, approchait. Monsieur Henri, que tous les paysans connaissaient, se déclara prêt à marcher à leur tête. C’était plus qu’il n’en fallait. Dans la nuit du 12 au 13 avril, le tocsin sonne dans toutes les paroisses voisines de la Barbelière, et le lendemain matin, le nouveau général adressait à 4 ou 5 000 paysans cette harangue si connue, chef-d’œuvre d’éloquence militaire : « Mes amis, si mon père était ici, vous auriez confiance en lui ; pour moi, je ne suis qu’un enfant, mais, par mon courage, je me montrerai digne de vous commander. Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi. »

Ainsi ce qu’il y avait de « populaire » à l’origine du mouvement, était capté aussitôt par les forces sociales d’ancien régime.

Les Mémoires de Larevellière-Lépeaux, publiés en 1895 par son arrière-petit-fils, confirment en ce point, de la manière la plus nette, les déclarations de Mercier du Rocher.

« L’argument tiré de ce que les paysans sont allés chercher les nobles dans leurs châteaux et les en ont pour ainsi dire arrachés de force pour les mettre à leur tête, lorsque ceux-ci pensaient à rien moins qu’à entreprendre la guerre civile, cet argument, dis-je, est de nulle valeur. À qui fera-t-on croire cette ridicule assertion ? Est-ce que la population d’une ou plusieurs provinces peut se lever dans un même jour sans qu’il y ait des meneurs et