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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/324

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insensées et leur logique folle. Quand Robespierre, sur la foi d’un propos étourdi de Carra, accusait tout le parti de la Gironde de vouloir instaurer sur le trône le duc d’York ; quand les Montagnards, constatant que la politique de résistance de la Gironde les conduirait peu à peu à faire cause commune avec les royalistes, concluaient que les Girondins servaient de parti pris les royalistes, c’était le même égarement de passion, le même sophisme énorme. Mais ces hypothèses passionnées et fausses ne cachaient pas aux Montagnards le péril présent et pressant. Elles l’aggravaient, au contraire, à leurs yeux, puisque, selon eux, la contre-révolution royaliste était comme doublée d’une intrigue girondine.

Aussi leur action contre les forces de réaction restait directe, sincère, totale. Ils criaient d’abord : Contre l’ennemi ! Sus à l’envahisseur ! Sus aux conspirateurs et aux traîtres ! Et si un éclat de la foudre lancée par eux rejaillissait sur la Gironde, c’était tant pis selon Danton, qui aurait voulu ménager encore et concilier tous les éléments révolutionnaires ; c’était tant mieux selon Robespierre, Marat, Hébert et la Commune. Mais c’est l’étranger, c’est l’insurgé, c’est l’Autrichien, le Prussien, le Vendéen que la foudre de la Montagne frappait d’abord. Leurs erreurs mêmes passionnaient les Montagnards à l’action ; et, au contraire, les Girondins étaient comme hébétés et paralysés par leurs hallucinations politiques. Ce n’était plus, en mars, qu’un parti incapable d’action, un parti infirme. La fièvre des Montagnards se tournait en énergie de combat ; celle des Girondins se perdait en illusions délirantes, en rêves agités tout ensemble et immobiles.

Après n’avoir vu dans la révolte funeste de l’Ouest qu’une manœuvre des anarchistes parisiens envoyés en secret par la Commune, le Patriote français prodigue, de numéro en numéro, les notes optimistes. Ce n’est rien ou presque rien.

Numéro du 22 mars :

« Dans le département de la Mayenne, les révoltés, quoique rassemblés au nombre de plusieurs mille, n’ont pas eu de succès. Ils ont été repoussés de Laval et de plusieurs autres villes ; et on leur a fait des prisonniers. »

Numéro du 25 mars :

« Des nouvelles consolantes sont arrivées des départements du Nord-Ouest. Nantes, qui avait été entièrement bloquée par les rebelles, est maintenant dégagée. Cette ville dut son salut à l’intrépidité des corps administratifs et au courage infatigable de sa brave garde nationale… »

Numéro du 26 mars :

« Les nouvelles des départements en proie à la guerre civile sont très satisfaisantes. »

Ainsi, la Gironde endormait, dans un optimisme systématique, la vigilance de la Révolution menacée. Et quand Mercier du Rocher vint dire la réa-