Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/332

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à effet lointain, le germe des monstrueuses accusations qui s’épanouirent horriblement, un peu plus tard, dans le réquisitoire de Saint-Just :

« Tu consentis à ce qu’on ne fit point part à la Convention de l’indépendance et de la trahison de Dumouriez… tu provoquas une insurrection dans Paris, elle était concertée avec Dumouriez ; tu annonças même que s’il fallait de l’argent pour la faire, tu avais la main dans les caisses de la Belgique. Dumouriez voulait une révolte dans Paris pour avoir un prétexte de marcher contre cette ville de la liberté, sous un titre moins défavorable que celui de rebelle et de royaliste. »

Je m’arrête, nous retrouverons bientôt ces tristes choses. Saint-Just reprend contre Danton, pour le frapper à mort, les inventions délirantes du girondin Salle, et Barère, dans son compte rendu à ses commettants, reprend le rapport de Saint-Just. Il est vrai qu’il reproduira aussi contre Robespierre les calomnies des thermidoriens, impartial comme le panier de la guillotine qui recevait toutes les têtes. Ô Barère, si grand à certaines heures quand l’esprit de la Révolution entre en lui, si petit et si misérable quand il est abandonné à ses peurs et à ses jalousies !

Mais quoi ! si Robespierre est secrètement soupçonneux, si Barère, un de ceux pourtant qui ont voté la mort du roi et rejeté l’appel au peuple, est prêt aux plus infamantes hypothèses, quel rude assaut va soutenir Danton ! La Gironde va sans doute, pour se dégager, rejeter sur lui tout le fardeau, et est-il sûr qu’il sera ménagé par le centre et soutenu par la Montagne ? De retour à Paris, après la défaite de Dumouriez à Nerwinde et la retraite sur Louvain, Danton employa sans doute quelques jours à explorer le terrain et à s’orienter, avant d’adopter un système définitif de défense ou d’attaque. À quel moment précis rentra-t-il à Paris ? Mortimer-Ternaux dit dans une note :

« Danton était le 21 à Bruxelles. Il dut en partir le soir même ou au plus tard, le 22 au matin. Il était donc de retour à Paris le 24. Mais, pendant deux ou trois jours, il se tint caché et ne parut à la Convention que le 27 mars. Dans quel but le célèbre tribun s’éclipsa-t-il pendant plus de quarante-huit heures, lorsqu’il apportait des nouvelles aussi graves ? Nul ne peut le dire, mais quant au fait matériel, il nous semble hors de toute contestation. Nous n’avons besoin pour le prouver que d’invoquer : 1o le rapport adressé à la Convention à la date du 22 mars, et inséré au Moniteur, no 86 ; 2o les deux lettres que Lacroix écrivait à Danton les 25 et 28 mars. »

Tout d’abord, pour bien poser la question, il faut se débarrasser de l’erreur commise par le Moniteur, dans l’analyse du discours de Danton du 1er avril.

« Que vous a-t-il dit (Lasource) ? Qu’à mon retour de la Belgique je ne me suis pas présenté au Comité de défense générale ; il en a menti ; plusieurs de mes collègues m’ont cru arrivé vingt-quatre heures avant mon retour effectif,