Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/366

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ciété, qu’ils lui prêtent secours et la défendent chacun selon ses forces ou suivant ses moyens ?

« Ce mode, auquel tout le monde n’était pas préparé, n’a pu s’exécuter aussi vite qu’il eût été à désirer, mais enfin le recrutement est rempli, et au delà, malgré les tentatives de tout genre pour le contrarier, malgré les menaces inconsidérément, prématurément faites à différentes corporations de jeunes citoyens. La preuve que ceux-ci n’étaient pas d’aussi mauvaise volonté qu’on chercha à le persuader pour exciter une rumeur, c’est que dans leur rassemblement aux Champs-Élysées il se trouva beaucoup de canonniers, et personne, que nous sachions, n’a encore élevé un doute sur le patriotisme ardent et soutenu de ces volontaires infatigables à qui la Révolution doit tout. Or les canonniers ne se seraient pas compromis au point d’aller grossir un attroupement illégal d’individus malintentionnés.

« On n’oublia rien pour mettre la division parmi les citoyens, et comme s’il n’y avait pas encore assez de partis, on imagina mille prétextes pour multiplier les factions. Pour augmenter le nombre des mécontents, on confondit les modérés avec les gens suspects, deux classes pourtant bien distinctes, et à qui le même traitement et les mêmes peines ne doivent convenir. Sans doute, celui-là aurait bien mérité de la patrie dans ces jours d’orage qui pourrait fournir la liste exacte de quinze à vingt mille salariés de Pitt, de Cobourg et de Brunswick fourmillant dans Paris surtout, et s’impatronisant en tous lieux, depuis la Convention jusque dans le plus petit club : voilà la véritable armée des puissances ennemies, leurs autres troupes ne sont qu’ostensibles, et ne nous feront jamais le mal que celle-ci nous a déjà causé et nous prépare encore.

« Quant aux modérés, espèce d’hommes dangereux sans doute, il en est et beaucoup, mais à qui faut-il s’en prendre ? N’est-ce pas à tous ces soi-disant patriotes qui journellement vont de tribune en tribune proposer les mesures les plus violentes, les plus exagérées ? Ah ! si on eût pris le soin de faire aimer la Révolution, si ceux qui s’en sont rendus les meneurs étaient plus estimables, si on eût étudié mieux le cœur humain, il n’y aurait point de modérés. Pourquoi la religion chrétienne, qui exige tant de privations, fit-elle des enthousiastes ? Ses premiers apôtres convertissaient jusqu’à leurs bourreaux. C’est que les premiers chrétiens furent sages, montrèrent des vertus et pratiquèrent exactement ce qu’ils prêchaient.

« Mais quelle confiance avoir dans les gens qui ne prêchent l’égalité que pour se faire nommer aux premières places, qui ne crient contre les riches que pour s’enrichir de leurs dépouilles, qui vont sans cesse rappelant la frugalité des Spartiates, l’antique simplicité des Romains, et qui ont l’inconséquence ou l’impudeur d’afficher tous les genres de luxe, celui de la table, celui des habits, celui des ameublements ? Ces travers, sans compter les excès de toute espèce et les abus les plus criants, ont attiédi le zèle de quantité de