Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/379

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croire que les modérés, les bourgeois, les propriétaires, les rentiers, les commis, toute la clientèle sociale de la Gironde allaient l’emporter, tant ils arrivaient nombreux, confiants, agressifs. Ils ne reculaient pas devant la lutte violente, et tous les jeunes gens bien nourris du haut négoce se flattaient, avec leurs gourdins, d’avoir raison du prolétariat misérable. La loi du recrutement avait produit un effet inattendu. Comme elle abandonnait aux citoyens réunis dans les sections le soin d’en fixer le mode, tous s’y pressaient afin de faire prévaloir, s’il était possible, le système qui leur serait le plus favorable. Serait-ce le tirage au sort, ou la réquisition ? Le remplacement, autorisé par la loi, serait-il pratiqué en fait, et dans quelles conditions ?

Lorsque le département de l’Hérault, dont les vues furent communiquées à la Convention le 27 avril, et converties en décret général le 5 mai, proclama que les nouveaux soldats devaient être désignés par les citoyens, il ne cacha pas que son but était surtout d’obliger les riches à marcher. Le mémoire adressé de Montpellier à la Convention par les autorités administratives disait :

« Le département de l’Hérault vient de faire un recrutement considérable. On ne doit pas dissimuler quelle en est la composition… La plupart des recrues sont des hommes de remplacement qui, par l’appât d’un salaire considérable, se sont déterminés à quitter leurs foyers… On propose que les nouvelles levées soient formées par voie de l’indication, c’est-à-dire en adressant des réquisitions directes et personnelles aux citoyens reconnus pour les plus patriotes et les plus propres par leur courage, leur caractère et leurs moyens physiques à servir utilement la République dans ce moment de danger. La liste des citoyens requis sera affichée dans toutes les sociétés populaires. »

Le rapport de Barère, du 5 mars, précisa bien qu’il s’agissait d’étendre aux citoyens riches la charge que jusque-là les citoyens pauvres supportaient presque seuls. Barère rappelle que « jusqu’à ce jour la classe la moins aisée, les habitants des campagnes, les artisans des villes, ont supporté le poids des fatigues et des dangers ; que tous les citoyens doivent aujourd’hui les partager ; que les propriétaires et les citoyens qui ont des professions qui peuvent être suspendues avec le moins d’inconvénients, doivent s’empresser d’augmenter la force de l’armée et de porter, dans les départements où la rébellion a éclaté, l’exemple du courage et de l’amour de la patrie. »

Et le Comité de salut public, dans une circulaire, disait :

« Les représentants du peuple rappelleront au peuple français que très longtemps, même depuis la Révolution, la richesse oisive a su se soustraire à la fatigue et aux dangers, et en a laissé tout le poids à la classe la moins fortunée ; qu’aucun citoyen ne doit se soustraire au service personnel ».

C’était très net ; mais, du coup, les riches étaient stimulés à se précipiter dans les sections. Peut-être ils maintiendraient encore pour une large part le