Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/386

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leusement aigu de toutes les évolutions de la conscience populaire, avait bien répondu à ce travail des esprits lorsque, le 8 mai, dans le discours aux Jacobins, que j’ai cité, il proposait toute une organisation soldée des prolétaires.

Il l’avait dit aussi, très nettement, le même jour à la Convention :

« L’aristocratie a osé lever la tête dans ces derniers temps, je demande que tous les gens suspects soient gardés en otage et mis en état d’arrestation ; que pendant les jours de crise, les intrigants qui affluent dans les sections en soient sévèrement chassés par les patriotes, que la classe, estimable et industrieuse puisse y assister journellement et qu’à cet effet, chaque fois qu’un artisan emploiera un jour de son travail à porter les armes ou à assister à une assemblée politique, il reçoive une indemnité. »

Ainsi le bienfait matériel de la Révolution, qui s’était traduit pour le paysan par la conquête de la terre, allait descendre maintenant, par l’institution d’une sorte de service public révolutionnaire largement doté, dans les couches profondes des villes. Oui, mais tout cela n’était possible, toutes ces espérances ne restaient ouvertes, toute cette immense carrière de fonctionnarisme militant et salarié ne se déroulait devant le peuple qu’à la condition qu’il gardât en mains et qu’il prît de plus en plus la direction du mouvement révolutionnaire. Et c’est à ce moment que les modérés, comme des intrus, se précipitaient dans les sections pour arracher la Révolution au peuple, pour le déposséder des innombrables fonctions où son orgueil se complaisait et qui commençaient à éveiller sa convoitise ! Il y eut une prodigieuse révolte, la tension extrême de tous les ressorts, la résistance vigoureuse et désespérée d’une classe qui ne s’est pas encore laissée énerver par la jouissance du pouvoir, mais qui a senti déjà, aux premières satisfactions positives obtenues par elle, se préciser son désir.

Ce n’est point égoïsme calculateur et paresseux. Le peuple ne veut pas être dupe, il est prêt encore à combattre, à mourir. Mais la bourgeoisie propriétaire, acheteuse de biens nationaux, marchande et agioteuse, a tiré de la Révolution de tels profits qu’elle a enseigné au peuple la politique des résultats immédiats. Et l’héroïsme populaire, aussi ardent, mais plus averti, fait ses conditions. De même que bientôt les soldats des grandes armées révolutionnaires confondront en un même enthousiasme l’amour de la patrie et l’espérance d’un avancement illimité, de même aujourd’hui la Révolution apparaît aux sans-culottes comme un idéal tout ensemble et comme une carrière. Et comme ils se jetteront aux grades militaires de la Révolution armée, ils se jettent maintenant aux grades civils de la Révolution militante. C’est par là, c’est par cette puissante et véhémente administration révolutionnaire, dont le premier il formule nettement l’idée, que Robespierre sera puissant. C’est elle qui s’offrira à le soutenir au 9 thermidor ; et il aurait pu, en recourant aux gradés de la Révolution, tenter un coup d’État civil, qui eût été comme une anticipation révolutionnaire de Brumaire.