Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/432

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voyés dans les départements et auprès des armées, que ces stipendiés de Pitt lancent les bruits les plus envenimés. Les scélérats ! ils parlent de respect pour la représentation nationale ; ils crient contre les Parisiens, et ils sont les premiers à l’avilir, à l’attaquer dans vous qui avez besoin de la confiance entière du peuple pour remplir avec succès la mission importante dont nous sommes chargés. »

Jean-Bon Saint-André, le 17 mai, dans une lettre de Montauban, ajoute des couleurs sombres au tableau dressé par Garrau :

« Le peuple est dans les meilleures dispositions, mais partout on travaille à l’égarer. La plus dangereuse des aristocraties, celle qu’enfante l’égoïsme, lutte contre la liberté et fait désormais cause commune avec l’aristocratie sacerdotale et nobiliaire. C’est à cette alliance qu’on peut rapporter peut-être le développement de la guerre civile dans la Vendée, et le ferment qui peut la développer dans tous les départements existe plus ou moins dans tous. Celui que j’ai été plus particulièrement à même de visiter est peut-être un des meilleurs de la République, et néanmoins, les aristocrates de toutes les couleurs n’y perdent pas l’espoir de susciter des troubles et de faire rétrograder la Révolution. »

Il termine cependant sur une parole d’espérance :

« Toutes les cloches du département ont été descendues. On en a laissé une à chaque église. Le reste attend la main de l’artiste pour lui donner une forme redoutable aux ennemis de la patrie. Éclairez le peuple et la Révolution s’achèvera. »

D’Artigoeyte et Ichon, dans une lettre du 23 mai, datée de Lectoure, se plaignent des autorités départementales qui, sans cesse, contrarient leur action. De Metz, le 26 mai, Le Vasseur, Maignet, Maribon, Monstant et Sonbrany dénoncent la tiédeur des citoyens :

« Nous comptions, citoyens nos collègues, profiter du jour de repos pour nous entourer d’une manière plus efficace des lumières du peuple. Nous nous étions rendus hier à la Société dans l’espoir d’y commencer cette opération ; mais, nous vous le disons avec douleur, deux fois nous avons visité la Société dans les trois jours que nous avons passés ici, et deux fois nous l’avons trouvée déserte. Tout ce que nous avons vu dans ces trois jours, tout ce que l’on nous a rapporté nous prouve que la malveillance travaille ici comme ailleurs le peuple, que l’esprit public est loin d’être à la hauteur des circonstances.

« Il nous a paru que les corps administratifs sont bien éloignés de faire cesser cette insouciance. Dans un temps où il faut être tout feu, ils ne feront qu’augmenter leur tiédeur, en dégoûtant les patriotes par l’impunité qu’ils assurent au crime. »

Que fera la France ? Ira-t-elle en une convulsion suprême de l’instinct de conservation jusqu’à la terreur révolutionnaire ? Ou bien glissera-t-elle de lassitude à un modérantisme qui sera d’abord pénétré et bientôt submergé