Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/436

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toutes les mesures énergiques pour le recrutement, pour la levée des taxes révolutionnaires. Quand, en mars, les commissaires de la Convention, les Montagnards Boisset et Moïse Bayle arrivèrent à Marseille, il semblait bien que la Gironde y était écrasée, et que la prédication révolutionnaire des Conventionnels allant de section en section était superflue. Mais voici que brusquement, à la fin de mars et en avril, les choses et les esprits sont comme renversés. Les sections marseillaises sont envahies par la bourgeoisie modérée et par les royalistes, et un mouvement violent de réaction s’annonce. Faut-il croire, comme le dit Michelet, que c’est parce que Marseille, ayant envoyé par milliers à la frontière ses patriotes les plus généreux, était restée à la merci des éléments contre-révolutionnaires ? Mais il n’y avait pas eu en mars un grand exode, et le vent se met à souffler soudain en sens contraire.

Était-ce l’effet de l’arrêt des transactions commerciales causé par la guerre maritime ? Certes Marseille commençait à souffrir. La marine militaire, en pleine désorganisation, ne suffisait pas à protéger les convois menacés par la course. Le 1er avril, Boisset et Bayle écrivent au Comité de salut public :

« Les commerçants de Marseille à qui, faute de convois, on enlève tous les jours des vaisseaux, font les mêmes vœux (contre le pouvoir exécutif)… Nos affaires périclitent au Levant. »

Sans doute cette crise économique commençait à inquiéter les esprits, à alarmer les intérêts, elle fournissait à la contre-révolution un thème d’attaques dangereuses. Mais les souffrances n’étaient pas encore assez aiguës pour qu’on puisse expliquer par là ce changement violent dans la politique marseillaise. Il y a, je crois, deux causes directes de ce mouvement. D’abord, les deux commissaires, Bayle et Boisset, furent d’une maladresse inouïe. Il y a dans leur conduite une contradiction funeste. D’une part, ils s’associèrent aux mesures révolutionnaires les plus énergiques, à l’institution d’un tribunal révolutionnaire, à la formation d’une armée révolutionnaire chargée d’aller dans tout le Midi traquer les contre-révolutionnaires. Et d’autre part, ils ne comprirent pas que pour mener à bien cette politique audacieuse et violente il fallait maintenir l’union de toutes les forces révolutionnaires. Or, dans l’ardente cité marseillaise, les luttes de clans, les rivalités personnelles abondaient. Dans la Société populaire même quelques révolutionnaires détestaient le maire Mouraille et le procureur Seytre, accusés par eux d’exercer un pouvoir excessif et presque dictatorial. Visiblement ces dissidents furent excités par les manœuvres sournoises des contre-révolutionnaires, et aussitôt qu’ils se furent prononcés contre le maire et le procureur, leur protestation trouva un formidable écho dans les sections envahies de modérantisme et de royalisme.

Si Boisset et Bayle avaient été clairvoyants et fermes, ils auraient signalé aux patriotes le péril mortel qu’allaient créer leurs divisions. Ils auraient démêlé que la campagne contre Mouraille et Seytre, si elle était en