Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/460

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donnés par Vergennes aux insurgés anglo-américains ; mais, depuis le 10 août, il s’est trouvé, au grand désespoir de Pitt et de Brissot, qu’ils avaient mené la liberté plus loin qu’il ne convenait à l’Angleterre, et Pitt et Brissot se sont efforcés d’enrayer. Quand le général Dillon affirmait, il y a quatre ans, à la tribune du corps constituant, qu’il savait, de science certaine, que Brissot était l’émissaire de Pitt et sonnait du cor pour le compte du ministère anglais, on n’y fit pas beaucoup d’attention, parce que Dillon était du côté droit, mais ceux qui ont suivi les marches et contre-marches de Brissot, depuis ses écrits sur la traite des noirs et les colonies jusqu’à l’évacuation de la Hollande et de la Belgique, peuvent-ils nier qu’on ne trouverait pas peut-être une seule page dans cette masse de volumes qui ne soit dirigée au profit de l’Angleterre et de son commerce et à la ruine de la France ?

« Est-ce qu’on peut nier ce que j’ai prouvé dans un discours dont la société des Jacobins se souvient encore, celui que je prononçai sur la situation politique de la nation à l’ouverture de l’assemblée législative, que notre révolution de 1789 avait été une affaire arrangée entre le ministère britannique et une partie de la minorité de la noblesse, préparée par les uns pour amener un déménagement de l’aristocratie de Versailles dans quelques châteaux, quelques hôtels, quelques comptoirs ; par les autres, pour amener un changement de maître ; par tous, pour nous donner les deux Chambres et une Constitution à l’instar de la Constitution anglaise ? Lorsque je commençai ce discours à la Société, le 21 octobre 1791, où je montrais que les racines de la Révolution étaient aristocratiques, je vois encore la colère et les soubressauts de Sillery et de Voidel, quand je parlai des machinistes de la Révolution. Je glissai légèrement là-dessus parce qu’il n’était pas temps encore, et qu’il fallait achever la Révolution avant d’en donner l’histoire…

« Me fera-t-on croire que lorsque je montai sur une table, le 12 juillet, et que j’appelai le peuple à la liberté, ce fut mon éloquence qui produisit ce grand mouvement une demi-heure après, et qui fit sortir de dessous terre les deux bustes d’Orléans et de Necker ? »

Il n’est pas jusqu’aux paroles d’estime prononcées au sujet de Brissot, par l’opposition anglaise, par les amis de Fox, qui ne soient dénoncées par Desmoulins comme une machination de Pitt.

Quand on désespéra que Mirabeau et ensuite Barnave, qui commençaient à s’user, pussent se soutenir longtemps, on fit à la hâte un immense trousseau de réputation patriotique à Brissot et à Pétion pour qu’ils pussent les remplacer ; et depuis, nous avons vu les papiers publics anglais, devenus les échos des hymnes de chez Talma, représenter Dumouriez comme un Turenne et Roland comme un Cicéron…

« C’est ainsi que Pitt, voyant baisser en France les actions de Brissot, mettait tous ses papiers ministériels en l’air pour le faire remonter aux nues