Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/491

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fort tard après leur très longue journée de travail, fussent écartés des délibérations. C’est ce que l’observateur Perrière écrit, le 28 mai, à Garat : « Dans cette loi de la clôture des assemblées à dix heures, qui pouvait avoir pour objet le repos de l’ouvrier fatigué, ils ne veulent voir qu’un moyen de l’écarter des délibérations. »

En vérité, les ouvriers révolutionnaires étaient bien ingrats, de méconnaître à ce point le tendre soin qu’on avait eu de leur repos. Ils avaient trouvé, pour tourner cette loi trop bienveillante, un procédé habile. Est-ce la section des Lombards qui en avait eu l’initiative ? « Des députés de la section des Lombards font savoir au Conseil de la Commune (en sa séance du 27 mai) que les citoyens qui la composent s’assemblent en club après dix heures du soir. » L’assemblée de section est légalement finie, le club commence.

Dutard écrit à Garat le 28 mai, et l’on démêle en ce passage que même une partie de la petite bourgeoisie artisane commençait à hésiter un peu, à redouter l’action grandissante des prolétaires :

« Hier, j’étais à la Montagne Sainte-Geneviève, chez un relieur, un honnête homme fort rangé et très laborieux. Il a presque la mine de l’un de nos chanoines d’autrefois. Il était jadis du parti jacobin, c’est-à-dire qu’il aimait souverainement la liberté et la révolution. J’ai eu avec lui très souvent des conférences, mais je ne l’ai jamais trouvé aussi raisonnable qu’hier.

« Je vous observe que l’ouvrage commence à lui manquer ; il a été frappé du bruit qui a couru et par ce qu’il a lu dans les journaux que la faction voulait mêler toutes les fortunes. Cet honnête homme n’est pas riche, mais il a un petit ameublement, passablement bien logé, une boutique de travail et une avant-boutique qui contient de la marchandise. Il a deux petits enfants et, pour épargner les frais des domestiques, il fait sa cuisine lui-même parce que son épouse est morte. Il a aussi des assignats, et peut-être quelques louis. Il m’a parlé à peu près dans les termes suivants : « Monsieur Didot est plus riche que moi, mais on me voudrait donner sa fortune que je ne la voudrais pas ; si, au contraire, on proposait de la lui enlever pour la donner à un autre qui n’a rien, je m’y opposerais encore, parce que je sens que monsieur Didot doit sa fortune à son travail, à son industrie, à son économie, etc. En tous cas, il l’a gagnée. Que celui qui n’en a pas fasse comme monsieur Didot, comme je fais moi-même, quoique je n’aie rien : qu’il travaille pour la gagner. Et n’est-ce pas scandaleux que l’on veuille substituer aux bourgeois, avocats, etc., tous les ouvriers de l’Église Sainte-Geneviève ? (c’est-à-dire qui travaillent à la construire). Est-ce par ces gens-là que l’on entend que nous soyons conduits ? Ils ont fait la loi pendant ce temps dans notre section, et depuis la loi qui fixe à dix heures la levée des séances, tous ces ouvriers se sont érigés en clubs dont l’assemblée se tient après celle de la section, dans un autre endroit. Il m’a pris envie d’en écrire à la