Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/519

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la Commune. Et il la sommait presque de prendre la direction du mouvement. Qui sait s’il ne s’effrayait pas du débordement anarchique qui pourrait résulter de l’initiative désordonnée des sections et des Enragés ? Puis, il ajoute, avec une mélancolie pleine de menace :

« Je suis incapable de prescrire au peuple les moyens de se sauver. Cela n’est pas donné à un seul homme ; cela n’est pas donné à moi, qui suis épuisé par quatre ans de révolution et par le spectacle déchirant du triomphe de la tyrannie, et de tout ce qu’il y a de plus vil et de plus corrompu. Ce n’est pas à moi d’indiquer ces mesures, à moi qui suis consumé par une fièvre lente, et surtout par la fièvre du patriotisme. J’ai dit, il ne me reste plus d’autre devoir à remplir en ce moment. »

À ceux qui, avec une sorte de confiance superstitieuse, attendaient de Robespierre qu’il dénouât le nœud, Robespierre répondait : Je ne puis résoudre le problème, cela est au-dessus des forces d’un homme. La crise ne peut être terminée que par l’action collective du peuple.

C’était enfin, dans cette assemblée des Jacobins si longtemps liée de légalité, l’appel déclaré ou tout au moins le consentement officiel à l’insurrection. Les paroles de Robespierre furent comprises dans tout leur sens, car l’émotion des Jacobins fut vive, et un grand tumulte s’éleva, prélude passionné du mouvement de la rue.

Billaud-Varennes, comme pour préciser et pousser jusqu’au bout la pensée de Robespierre, rappela les malheurs tous les jours plus terribles qui fondaient sur la patrie et la liberté, les défaites de Custine, les progrès de la rébellion en Vendée, et il conclut en dénonçant la politique vaine du Comité de salut public :

« Dans le rapport de Barère on a parlé d’union, comme s’il était possible à la vertu de s’associer au crime. Ce sont trente meneurs qui forment le plan de conjuration. »

Et il proposa des mesures de salut public.

Déjà, avant même que Robespierre parlât et, avec sa prudence de forme accoutumée, s’engageât à fond, le courant maratiste s’était révélé aux Jacobins mêmes plus fort que le courant dantoniste. Legendre, l’ami de Danton, ayant proposé l’envoi, assez anodin en effet, d’une circulaire au peuple français, fut traité d’« endormeur ». Bentabole lui avait répliqué en attaquant à fond le rapport de Barère auquel les Jacobins savaient bien que Danton avait collaboré. « Il s’en faut de beaucoup, avait-il dit, que les Jacobins doivent s’en rapporter au rapport de Barère. Il a dit de bonnes choses ; ce député a rendu beaucoup de services, mais il a un esprit de modérantisme. »

Bentabole avait été très applaudi, et Robespierre, avec son sens aigu des crises morales qui bouleversaient les esprits, avait compris que la société légalitaire des Jacobins allait se jeter sans lui dans les voies insurrectionnelles. Il adhéra à cette politique nouvelle pour ne pas rompre avec la force centrale