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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/539

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pas fait échouer les sages mesures que nous avons prises tant de fois pour exterminer nos ennemis ? C’est lui avec Danton qui, par leur coupable résistance, nous ont réduits au modérantisme dans les journées du 31 mai ; c’est Legendre et Danton qui se sont opposés aux moyens révolutionnaires que nous avions pris dans ces grands jours pour écraser tous les aristocrates de Paris ; c’est Legendre qui a paralysé nos bras ; c’est Legendre aujourd’hui qui dément nos principes. Je demande que, sans discussion, la société le chasse de son sein. »

On peut être assuré que Danton qui avait su, par la proposition des administrateurs de police Marino et Michel, jusqu’où pouvaient aller certains esprits, n’avait promis son concours si utile, qu’à condition que l’Évêché éliminât toute politique de massacre. Et les Enragés, qui auraient voulu en finir par un renouvellement des journées de septembre, rongeaient leur frein. Je trouve dans un rapport de police sur la séance des Cordeliers du 12 mars 1794 (publiée par Schmidt), une allusion très nette aux démarches faites par Chabot à la fin de mai et au commencement de juin pour empêcher le massacre des Girondins :

« Magnin ou Monin a demandé la parole sur l’existence d’une faction dans le sein de la Convention nationale. Il a dit que cette faction existait bien avant le 31 mai. Il en a cité pour preuve une démarche que Chabot et Léonard Bourdon firent auprès du Comité central qui venait de se saisir du pouvoir et qui dirigeait l’insurrection. L’orateur a pris à témoin un membre de ce Comité qui était présent à l’assemblée. Ce membre a dit que Chabot et Léonard Bourdon étaient effectivement venus trouver le Comité ; qu’ils avaient voulu se rendre compte des motifs qui faisaient agir le Comité ; qu’ils avaient menacé Paris de toute la vengeance des départements, si l’on portait la main sur un seul député ; qu’ils avaient dit que les chefs des députés, qu’on regardait comme ennemis de l’État, avaient donné leur démission ; que, par conséquent, ils ne seraient plus dangereux, et que l’insurrection devenait inutile…

« Hébert, qui avait vu venir Chabot et Léonard Bourdon au Comité central, a attesté la vérité de ce qu’on venait de dire. Il a dit qu’il fallait enfin déchirer le voile, que l’on voulait faire le procès aux patriotes qui avaient alors sauvé la République, qu’il fallait se reporter à cette époque. »

Certes, il est impossible de se fier pleinement à un rapport de police. Surtout en ces journées de mars 1794, où les hébertistes, attaqués par les dantonistes, cherchaient à prouver que seuls ils avaient combattu vigoureusement pour la Révolution, il se peut qu’Hébert et ses amis aient exagéré les sentiments de modération de Chabot au 31 mai. Je crois pourtant que celui-ci, qui, depuis les réunions du café Corazza, aspirait, comme nous l’avons vu, à servir d’intermédiaire entre les Jacobins et les Enragés, s’est employé à détourner ceux-ci de toute entreprise sanglante. Et je ne serais point surpris