Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/548

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dans la matinée du 31 mai, la collaboration un peu dominatrice de l’Évêché, il n’aurait pas maintenu la Commune comme la grande force à la fois motrice et régulatrice, révolutionnaire et prudente, qui sauva dans la crise l’unité de la Révolution, qui lui maintint son ampleur, et la préserva de la passagère dictature de sectes enfiévrées qui auraient répandu le sang, soulevé la France entière contre Paris : Pache a très bien noté que la révolution du 31 mai ne donna satisfaction à aucune des coteries qui se disputaient la prééminence. Elle ne fut ni robespierriste, ni dantoniste, ni hébertiste, ni enragée, elle fut largement révolutionnaire et populaire.

Mais qui pouvait, aux premiers coups du tocsin, savoir avec certitude que les colères et les passions des hommes seraient contenues dans de sages limites ? Les Girondins avaient, depuis plusieurs jours, le droit de craindre pour leur vie. Longtemps, ils avaient déclamé contre des périls imaginaires. Longtemps, ils avaient, en une rhétorique d’héroïsme ostentatoire, dénoncé les poignards levés sur eux, bien avant qu’aucun poignard fût levé.

Depuis quelques semaines, depuis que les sections avaient demandé que les vingt-deux fussent livrés au tribunal révolutionnaire, depuis que des motions forcenées se produisaient dans certains conciliabules, le danger se précisait. Le mélancolique appel de Vergniaud à ses mandants est le signe d’une croissante détresse morale. Brusquement, la Gironde, qui avait si souvent et si fastidieusement évoqué le fantôme de l’assassinat, voyait le péril prendre corps.

Dès le 8 mai, Lasource en une lettre à la Société populaire de Castres (republiée en 1889 par M. Camille Rabaud), parlait à ses commettants comme s’il était déjà dans l’ombre tragique de la mort :

« J’apprends avec indignation que quelques agents des scélérats qui veulent me faire égorger ici ne cessent de me calomnier au milieu de vous, pour me ravir votre estime ; ils veulent vous empêcher d’accorder quelques regrets à ma mémoire et de venger ma mort, qu’ils préparent par leurs machinations ténébreuses, qu’ils appellent par leurs sanguinaires dénonciations, qu’ils précipitent par le mouvement meurtrier que leurs manœuvres impriment à une masse d’ignorants dont ils trompent la bonne foi, et à une tourbe d’assassins dont ils dirigent les poignards… Voilà le sommaire de ce que j’ai fait. Est-ce là trahir ma patrie ? Ah ! si ce sont de telles trahisons qu’on m’impute, j’en ai commis, j’en commettrai encore ; car je travaillerai jusqu’à la mort au bonheur de mon pays. Les ambitieux, les traîtres, les hommes altérés de domination et de sang, peuvent bien me proscrire, mais non m’intimider ; ils peuvent m’arracher la vie, mais ils ne me feront jamais composer avec ma conscience… Que ceux qui veulent régner m’assassinent vite ; ils ont raison puisqu’ils ne peuvent régner tranquilles que quand je ne serai plus. Que ma tête leur soit livrée, puisqu’il la leur faut ; j’y consens, mais que ma mémoire reste pure. Je leur pardonnerai le crime de ma mort ; mais je ne leur