Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/554

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battre, le tocsin sonner dans tous les clochers de Paris ; chaque citoyen se porte en armes à sa section ; les barrières sont fermes. »

Il n’y avait donc pas inertie et indifférence, mais ce peuple immense et actif, qui se débattait dans une crise obscure, ne savait au juste où était le devoir, où était l’intérêt de la liberté et de la patrie. Les Révolutions de Paris ont bien marqué cet état d’attente incertaine, de contrariété et de flottement.

« Avant de prendre les armes, les citoyens de Paris ne délibèrent pas s’ils doivent les prendre ; ils courent d’abord à leurs piques, à leurs fusils, à leurs canons comme au plus pressé ; ce n’est qu’après avoir cherché l’ennemi qu’il faut combattre sans le trouver, ce n’est qu’à la fin du jour qu’ils se sont demandé : « Mais depuis vingt-quatre heures que nous sommes sur pied, on ne nous a pas dit encore ce qu’on veut de nous. Pourquoi cette alerte générale, prolongée jusqu’à la nuit ? Où faut-il aller ? Contre qui faut-il diriger nos baïonnettes et pointer nos pièces ? »

« Il leur a été répondu d’une part : « C’est un grand coup que nous voulons porter à des contre-révolutionnaires qui entravent la marche rapide des travaux de la Convention, et qui sans doute ont une faction toute prête à se déclarer en leur faveur, si on ne leur en impose avec un appareil redoutable et une contenance aguerrie. »

« D’une autre part, on leur a dit : « Restez immobiles à vos postes ; prenez garde, ne devenez pas les instruments d’une faction contre une autre ; à la faveur du canon d’alarme et du tocsin, des autorités monstrueuses, des pouvoirs antirévolutionnaires vont vouloir s’élever ; ils vous proposeront, pourvu qu’ils vous trouvent dociles, des proscriptions sanglantes. Soyez sourds, et que les auteurs de tout ce bruit en redoutent pour eux-mêmes la catastrophe. »

Autour de la Convention qui ouvre sa séance dès six heures, se presse une force armée très mêlée ; les premiers députés, accourus au son du tocsin, voient, au témoignage de Levasseur, « deux mille sectionnaires girondins remplir la place du Carrousel, où se précipitèrent également une foule d’insurgés ». C’étaient comme de vastes flots remués par des vents contraires. Si la Gironde avait eu un mot d’ordre précis, vivant, actif, vraiment révolutionnaire et national à jeter à ces foules, elle aurait pu l’emporter aussi bien que la Montagne. Mais qui donc, après toutes ses défaillances et toutes ses criailleries vaines, qui donc aurait pu croire en elle, si elle avait dit au peuple : Je suis l’énergie de la Révolution ? Au contraire, la Commune et la Montagne pouvaient crier à Paris : Qu’on nous débarrasse des disputeurs de la Gironde, et nous écrasons l’ennemi, nous balayons l’étranger.

Mais la Commune, effrayée de sa responsabilité, ne parlait à Paris que d’une voix un peu basse et sourde. Peut-être si, dès le début de la journée, elle s’était engagée à fond, si elle avait fait tirer d’emblée le canon d’alarme,