Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/586

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perdu de son énergie depuis qu’on a cassé la Commission des Douze. Cette Commission était un instrument dans la main des intrigants. Elle n’agissait pas par elle-même : c’est la faction qui la dirigeait. Le peuple s’est insurgé contre cette faction, et il ne s’arrêtera pas que cette faction ne soit terrassée. »

Que d’étranges pressentiments s’éveillent au cœur ! La lutte contre la Gironde n’est pas terminée, et déjà les sombres soupçons de Billaud-Varennes, les réserves de Chabot présagent d’autres déchirements et d’autres combats. La méfiance de Billaud-Varennes contre quiconque veut être chef aboutira un jour à frapper, non Marat, mais Robespierre. Les factions de Chabot et de Danton se dévoreront l’une l’autre. Appelez les sorcières de Shakespeare, de celui que Brissot appelait « l’Eschyle anglais », près de la chaudière où la fatalité remue tant d’éléments humains, tant de passions, de générosités et de haines : penchées sur cette confusion ardente et sombre, elles verront s’élever une vapeur de sang.

Mais les Jacobins, même quand ils étaient le plus résolus, discutaient, préparaient, formulaient : ils n’agissaient pas. Le commandant provisoire Henriot les avait invités à communiquer avec lui, ils avaient nommé des commissaires à cet effet ; mais ils n’avaient pas donné le mot d’ordre que Henriot attendait sans doute pour le lendemain. Et après s’être déclarés en permanence, ils avaient levé la séance.

Pourtant une grande confiance était en eux, et une certitude de l’avenir. L’indice le plus décisif peut-être, c’est que les Jacobins inaugurent, le 1er juin même, leur organe officiel, le Journal de la Montagne. Pour la première fois, la Montagne avait un organe ; par le titre seul, elle s’annonçait à la France dans son unité et dans sa force. L’épigraphe était faite du mot d’Hérault de Séchelles, présidant la Convention : « La force de la raison et la force du peuple ne font qu’un. » Ce n’était pas la révolte de misère qui éclate dans l’épigraphe du journal de Marat. C’était l’affirmation doctrinaire et solennelle que la Révolution ne pouvait aboutir que par la grande énergie populaire soumise à la discipline des principes. C’est par ce mot qu’Hérault avait consacré et légitimé la sommation du peuple à la Convention contre les Girondins. Ainsi cette seule épigraphe était tout un programme d’action révolutionnaire un peu formaliste et guindée, mais vigoureuse et décisive.

Ni Robespierre ni Marat n’avaient paru ce soir-là aux Jacobins. Marat y allait peu : il trouvait qu’on y parlait trop, et d’ailleurs, épuisé par la maladie, il suffisait à peine à la Convention et à son journal. Robespierre fut-il, ce soir-là, écrasé de fatigue ? Après une séance de douze heures, et où il avait lutté, c’est possible. J’imagine pourtant qu’il n’était point fâché de n’avoir pas à donner, à cette minute, des conseils trop précis. C’est seulement dans le numéro du 5 juin que Marat donne ses impressions sur la journée du 31 mai :

« Le Comité de salut public, quoique composé d’hommes instruits et bien