Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/610

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Ai-je besoin de dire que les Girondins n’étaient pas royalistes, qu’ils ne travaillaient pas consciemment et délibérément au rétablissement de la monarchie ? Ici comme en bien d’autres points, l’erreur de Marat est de transformer en volonté consciente ce qui n’est que l’ extrême conséquence logique et la conclusion ou nécessaire ou possible d’actes déterminés. Mais Marat voit juste quand il note que les Girondins, à force de chercher des points d’appui contre Paris, contre les forces révolutionnaires de la Montagne, de la Commune et des sections, réveillent ou fomentent les espérances royalistes et contre-révolutionnaires. Où il voit juste encore et profond, c’est lorsqu’il proclame, avec une remarquable netteté et liberté d’esprit, que les Girondins ne sont pas dominés par le système fédéraliste. Au fond, leur plan est ou de conserver ou de reconquérir le pouvoir central. Quelques mois plus tard, quand Buzot, fugitif et proscrit, expliquera la tactique de la Gironde, il confirmera en ce point les vues de Marat.

« Si j’ai vu avec plaisir le mouvement sublime des départements au mois de juin dernier, c’est que tous se portaient au centre, tous ils marchaient sur Paris pour briser les fers de la Convention, emprisonnée dans ses murs ; tous ils voulaient l’unité de la République, que l’attentat du 2 juin tendait à rompre. Auraient-ils tenu le même langage, leur marche eût-elle été la même si ces départements avaient projeté de se séparer, de s’isoler ? Non. En imputant tous leurs maux à la Commune de Paris, et certes ils auraient eu raison de le faire, ces départements se seraient déclarés indépendants de la Convention, dont les membres factieux s’étaient attachés à cette ville comme au foyer de leur ambition et de leurs crimes ; ils auraient levé des troupes chacun dans son territoire, s’y seraient cantonnés pour s’y défendre en cas d’attaque, et du reste leur résistance eût plutôt consisté dans un plan de désobéissance passive bien concerté entre eux, que dans des mesures actives dont le succès eût été bien moins sûr et beaucoup plus difficile à obtenir ; enfin ils auraient fait une déclaration solennelle au peuple français, qu’ils entendaient cesser toutes communications, tous rapports politiques, civils et commerciaux avec une ville qui, dans tous les temps, a été le fléau de la France, et qui sera infailliblement le tombeau de la liberté. »

Quand Buzot, dans sa haine exaspérée, semble confondre le fédéralisme avec une sorte d’excommunication de Paris et regretter que les Girondins et les départements n’aient pas été assez fédéralistes, il défend par là même son parti de l’avoir été. Mais il me semble que et Buzot et Marat commettent ici une confusion. Non, les Girondins n’étaient point fédéralistes, en ce sens qu’ils n’acceptaient pas un fédéralisme systématique et définitif. Ce n’était pas à leurs yeux l’organisation normale et durable de la société française. Mais il n’est pas démontré que dans leurs hypothèses de combat, dans leur tactique immédiate, ils n’aient pas entrevu une sorte de fédéralisme provisoire. Leur appel aux départements contre Paris pouvait prendre deux for-